mardi 23 novembre 2010

Rachat de Djezzy par l’état algérien : La genèse d’une OPA


L’état algérien, décidé à racheter Orascom Telecom Algérie (OTA Djezzy), la filiale algérienne du groupe Orascom Telecom Holding (OTH), désignera aujourd’hui, après l’ouverture des plis, une banque d’affaires qui sera chargée de l’évaluation de son prix.

Pour Alger, il n’existe qu’un seul vis-à-vis, à savoir le milliardaire égyptien Naguib Sawaris. Ce dernier a tenté plusieurs fois de se retirer du conflit qui l’oppose depuis plus d’une année à l’Etat algérien. Car, il faut le dire, il s’agit bien d’un conflit. Un conflit commercial pour Alger qui affirme ne chercher qu’à préserver ses intérêts dans le respect des lois de la République. Un désaccord politique pour le patron d’OTH qui a accusé l’Etat algérien d’exercer sur son entreprise des pressions après la dégradation des relations algéro-égyptiennes suite aux événements qui ont marqué la qualification de l’équipe nationale à la Coupe du monde 2010. Vers fin 2009, OTA reçoit un deuxième redressement fiscal après avoir réglé le premier d’un montant de 600 millions de dollars. Elle le conteste. Son patron Naguib Sawaris tentera alors de céder sa filiale à l’opérateur sud-africain MTN, évitant ainsi un bras de fer avec les autorités algériennes. La réaction de l’Etat ne s’est pas fait attendre : il a évoqué son droit de préemption. Sawaris, qui a voulu réitérer le scénario de la vente de la cimenterie à des étrangers sans chercher l’aval du gouvernement algérien, bien que ce dernier l’ait mis en garde, a provoqué l’ire des responsables. Ahmed Ouyahia a fermement déclaré, au sujet du projet de la vente de Djezzy à MTN, que «le contrat entre Djezzy et MTN est nul». Alors que les organismes algériens ont poursuivi normalement leur mission en invitant Djezzy à épurer ses dettes au fisc, Naguib Sawaris s’est attaqué à l’Etat algérien en l’accusant d’exercer sur lui des pressions. Intervenant au forum londonien The Economist, l’homme d’affaires a dit : «Nous avons atteint une part de marché de plus de 70% dans les télécoms où il y a trois acteurs. Nous sommes les plus grands et ils ont commencé à exercer des pressions sur nous pour la simple raison que nous étions très rentables et que nous avons réussi», affirmant qu’aucun investissement ne peut se faire «sans la bénédiction du numéro 1». Les propos de Sawiris n’ont pas laissé indifférent en Algérie. Le ministre de la Poste et des Technologies de l’information et de la communication, Moussa Benhamadi, s’est empressé de rejeter les accusations du milliardaire égyptien dans une intervention à la radio algérienne. «Aucune pression n’est exercée par l’Algérie sur OTA», a-t-il déclaré, affirmant que l’Etat algérien ne fait que «veiller à l’application du droit algérien. Ce même droit qui a permis à OTA de créer une société en Algérie». Et dans le respect de ce droit, la Banque centrale d’Algérie a déposé une plainte accusant OTA d’infraction à la législation sur les changes. La Banque centrale d’Algérie estime que les prestations portant sur le change et les transferts des devises réalisées entre 2007 et 2009 sont entachées d’irrégularités. Décidé à trouver une nouvelle voie pour se tirer de cette affaire qui l’oppose à l’Algérie, Sawaris contourne le droit de préemption revendiqué par l’Etat algérien en cédant son groupe OTH au géant russo-norvégien Vimpelcom. Le patron de ce groupe, Alexander Izosimov, s’érige alors comme nouvel vis-à-vis des autorités algériennes - alors même qu’il n’avait pas encore conclu sa transaction - en proposant à Alger de céder Djezzy à «un prix équitable» d’environ 8 milliards de dollars.M. Mohamed Benmeradi répliquera alors que tout changement dans l’actionnariat d’OTH «ne saurait remettre en cause les engagements déjà pris de céder Orascom Telecom Algérie (OTA) à l’Etat algérien». Alexander Izosimov lancera une menace à peine voilée à l’Etat algérien de recourir à l’arbitrage international en cas de «nationalisation d’OTA». Alger décide alors de mettre fin à toutes les spéculations. C’est Ahmed Ouyahia qui expliquera que l’Etat algérien va acheter de manière définitive Djezzy et il donnera même le mode opératoire et les conditions y afférentes. Se prononçant clairement devant le Parlement, où il répondait aux interrogations des députés au sujet de la déclaration de politique générale, Ahmed Ouyahia dira : «Je confirme que le gouvernement algérien va acheter définitivement l’opérateur mobile Djezzy.» «Nous n’avons qu’un seul vis-à-vis dans cette opération, à savoir Orascom Telecom Holding (OTH) avec qui nous avons signé un contrat», a ajouté le Premier ministre. Très précis sur la procédure de cette opération, Ahmed Ouyahia explique : «Il y a eu beaucoup de spéculations sur la valeur de cet opérateur téléphonique, cela ne nous intéresse pas. Il y a des procédés et des experts internationaux à désigner par les deux parties pour effectuer cette évaluation. En cas de mésentente, là on peut recourir à une troisième partie pour trancher.» Une fois le dossier de cession de Djezzy ficelé et avant la concrétisation de la vente de cette filiale au gouvernement algérien, cette entreprise devra, auparavant, épurer sa situation vis-à-vis des organismes de l’Etat dans le respect des lois en vigueur. «Les propriétaires d’OTH doivent apurer leur situation fiscale. Ils doivent s’acquitter de 17 milliards de dinars encore et des pénalités engendrées en cas de retard. Ils doivent assainir leurs dettes envers l’Autorité de régulation de la poste et des télécoms (ARPT) et celles engendrées par la dissolution de leur opérateur de téléphonie fixe Lacom (des salaires de travailleurs n’ont pas été versés). Les propriétaires d’OTH doivent répondre à l’accusation de la Banque d’Algérie de fraude dans les transferts de 190 millions de dollars. En dernier point, et comme le prévoit la loi algérienne, OTH devra verser 20% de la prévalue au gouvernement algérien à la vente», a précisé M. Ouyahia. Ainsi, l’Etat a expliqué à Sawaris le montant des dettes, des arriérés fiscaux, des pénalités, mais aussi de son obligation de répondre aux accusations qui pèsent sur les responsables d’OTA. L’Etat a aussi expliqué au patron égyptien que «les intérêts économiques de l’Algérie ne sont pas perdus. Nous les préservons», comme l’a déclaré Ahmed Ouyahia. Les dés sont jetés.

Source : Quotidien La Tribune au 23/11/2010


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