lundi 15 novembre 2010

Belfort, le marché algérois du téléphone contrefait prospère


Des téléphones portables avec double ou triple puces, double batteries, double cartes mémoires, écran tactile extra large, antenne pour regarder la télévision en direct, torche pour éclairer toute une pièce, connexion sans fil, le tout à moins de dix milles dinars ! Pourquoi la contrefaçon capte plus de clients en Algérie ? Reportage.

C’est un quinquagénaire, le couffin dans une main, il vient de s’arrêter au niveau de la petite table en carton sur laquelle sont disposés une trentaine de téléphones portables différents, il en choisi un, le soupèse, le scrute de plus prêt, visiblement il lui plait, le jeune vendeur en casquette survêt remarque l’intérêt et lui assène presque une poésie « Amou, modèle mahboul ou nadjah (terrible et qui a bien réussi), double puces, double cartes, capte la télévision, très solide, il se charge avec le mesmar (« le clou», pour désigner les prises des chargeurs Nokia, les plus répondus en Algérie) et je te le laisse à un très bon prix », « combien ? » rétorque l’homme au couffin, « je t’aide, il est à 6500 (dinars)». Le petit prix fait tiquer « chinois ? (contrefaçon chinoise) », le jeune vraisemblablement habitué à la question répond instinctivement mais sûr de lui « nadjhine Amou (ils ont réussi) », en le reposant le client demande un moins cher, le négocie un peu, et le prend.

Nous sommes à Belfort, un quartier de la commune d’El Harrach, le sanctuaire du téléphone portable à Alger. Une large rue qui s’étend sur des dizaines de mètres, truffée de boutiques et de magasins pour téléphones portables et accessoires. Entre deux boutiques, on trouve un vendeur de portables à la sauvette. Ils sont des dizaines à exposer sur des tables de fortune (« les plus légères possible en cas de descente de policiers») une multitude de modèles de deux milles à dix milles dinars, rarement plus. Deux jeunes en chemise et cartables s’approchent de la table, le vendeur au survêt qui ne veut pas donner son prénom me les présente : « regarde, ces deux jeunes étudiants sont des habitués, ils savent que le moins cher et la qualité c’est ici».

L’un deux confirme : « je ne trouverai pas ce modèle à ce prix (2000 DA) dans le commerce normal, en plus il tient la charge une semaine complète, on est plusieurs à l’avoir ». « Ça fait trois ans que je vends des portables chinois, nous confie le vendeur, j’ai mes clients, et les gens reviennent souvent, certains reviennent paniqués par leur entourage qui leur disent des bêtises sur ces modèles soi-disant ‘mdarhine’ (contrefaits ou fragiles) mais je les rassure en leur présentant mes clients satisfaits ».

Ils savent bien que c’est de la contrefaçon

Ces clients sont conscients de ce qu’ils achètent. Aucun des vendeurs ne cache la provenance de ses portables, ils savent qu’il n’y a pas de garantie, ils savent aussi qu’ils ne pourront jamais avoir l’équivalent chez les distributeurs des vraies marques. « A 5000 DA, j’ai eu ce téléphone avec double puces, j’ai une puce Djezzy Millenium que j’utilise la nuit et une autre Nedjma pour mes appels la matinée, j’ai essayé d’avoir deux portables « vrais » achetés 4500 DA mais j’en perdais toujours un, en plus avec ce modèle tu as l’écran couleur et la double cartes mémoires pour mettre autant de musique que tu veux ». En effet, pour les modèles de marque, les « double puces » coutent aux environs de dix milles dinars pour les moins chers (une offre récente) et disposent de peu de mémoire et de fonctionnalités. Autour de la table de notre vendeur, le débat concernant le produit chinois revient souvent. « On nous a critiqué la Maruti, (petite suzuki indienne) et voilà le résultat, elle roule très bien depuis quatre ans » dit l’un. «De toute façon même le lait, ils vont finir par l’importer de Chine, ce n’est pas la peine de faire la fine bouche avec les portables » enchaine un autre. Au tour du vendeur d’en rajouter :« tous ces magasins de potables, à part les téléphones, tous les accessoires qu’ils vendent sont des produits de la contrefaçon chinoise ».

Dans les accessoires, la Chine répond plus vite

Au vu des énormes étalages qui débordent d’accessoires, on peut deviner l’importance de la part de marché que cela représente. Un vendeur dans une boutique nous le confirme. « La vente d’accessoires rapporte beaucoup et surement, il n’est pas rare de voir des clients prendre des dizaines de batteries, de cartes mémoires, de chargeurs, de coques…». Et pour cause, demander un accessoire original chez un distributeur officiel coute très cher, parfois 30 à 40 % du prix du portable pour une simple coque ou une batterie, souvent pas disponible immédiatement. C’est donc la réactivité qui fait vivre la contrefaçon et non pas seulement sur le prix. « Même si je sais que c‘est d‘abord le prix qui intéresse mes clients » avoue notre vendeur à la casquette, il y a aussi la réactivité par rapport aux demandes des usagers. Le modèle triple-puces est une exclusivité avec celui qui capte la télévision hertzienne et les modèles à double batteries qui permettent de prolonger les discussions (gratuites) loin des oreilles indiscrètes…mais pas seulement. La contrefaçon apaise aussi une frustration. Celle d’être en retard de l’époque technologique, les modèles tactiles haut de gamme ou le dernier iPhone coutent entre 50 000 et 90 000 DA. « Regarde, nous dit le vendeur en brandissant fièrement un portable, tu vois celui là, c’est la copie du dernier iPhone 4, le vrai coute 90000 DA, moi je le propose à seulement 10000 DA, tactile et tout…denya mgalba, khali echaab Eiich » (tout est sens dessus dessous, laissons le peuple vivre) .

Source : Maghreb Emergent au 15/11/2010

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