lundi 25 octobre 2010

Nassim Kerdjoudj PDG de Net Skills, vice président du FCE « Ne pas racheter Djezzy doit rester une option »


Nassim Kerdjoudj est un spécialiste des Télécoms. Il connaît très bien les stratégies des grands acteurs de la téléphonie dans le monde. Il décode ici la démarche de VimpelCom dans son opération de fusion-acquisition de OTH. L’Etat algérien peut selon lui arriver à l’algérianisation de Djezzy sans à coup. Cela lui parait même la voie la plus sûre pour ne pas avoir à appeler au secours un opérateur majeur comme cela est arrivé au Maghreb.

Vous êtes connu pour classer les opérateurs téléphoniques internationaux en deux grandes catégories, les grands leaders institutionnels occidentaux qui avancent par la valeur ajoutée technologique et les opérateurs du sud qui se construisent sur le risque politique-pays et le nombre d’abonnés. Dans quelle catégorie situez vous Vimpelcom le nouveau propriétaire Russo-Norvégien de Djezzy ?


Un peu plus dans la seconde tout de même. Même si dans le tour de table de Vimpelcom, il existe des acteurs technologiques. Il s’agit d’un gros opérateur qui est, de mon point de vue engagé dans une opération spéculative avec l’acquisition de OTH, (Orascom Télécom Holding). Il a acheté le tout pour vendre en Algérie. Il s’agissait d’amortir une partie de l’achat de OTH par la cession de Djezzy. Cela est très clair dans le choix d’annoncer la transaction juste à la veille de l’arrivée du président Medvedev en Algérie. Les russes pensent être en meilleure position politiquement que Naguib Sawiris pour bien vendre Djezzy. Ils sont venus à Alger en rang uni.

Mais ce n’est pas là la façon de voir du patron de Telenor, l’opérateur norvégien actionnaire dans Vimpelcom. Il estime que sans la certitude de garder Djezzy, il ne fallait pas se précipiter à s’emparer de OTH. Est-ce que vous pensez vraiment que sans la licence algérienne, la fusion Vimpelcom-OTH va survivre ?

Bien sur. Le moteur des opérateurs téléphoniques aujourd’hui est d’avoir une présence sur un grand nombre de pays avec des licences sur de petits marchés. Ils accumulent de petites cash machines qui consolident le tout. Même Telenor est sur ce modèle au nord de l’Europe et à travers Vimpelcom. Il se valorise bien à la revente. Observez que l’opérateur koweitien Zain qui détenait une trentaine de millions d’abonnés sur plusieurs marchés de petites tailles a cédé 46% de son capital pour 10,5 milliards de dollars à l’émirati Etisalat. Belle opération. Djezzy vendue, la fusion Vimpelcom-OTH est tout à fait viable, grâce à toutes les autres opérations que détient cette nouvelle entité sur trois continents.

Mais alors dans ce cas là que va faire le gouvernement algérien d’un Djezzy que les russes ne vont céder que comme paramètre d’équilibrage de leur opération d’achat de OTH, c'est-à-dire chèrement ?

C’est la grande question. Acheter Djezzy pourquoi faire ? Et tant qu’elle n’a pas de réponse claire, ne pas racheter Djezzy doit rester une option. Il n’est pas concevable d’engager 3 ou 4 milliards de dollars pour acheter Djezzy, puis de voir après. La moins value serait dramatique. L’Algérie a d’autres choses à faire que cela. Je pense qu’il faut d’autant laisser ouverte l’option du non rachat de Djezzy qu’il est tout à fait possible d’exiger de son propriétaire d’en ouvrir le capital à la bourse d’Alger, de l’algérianiser ainsi. OTA a le potentiel pour devenir un opérateur phare, un fleuron algérien en Afrique. Le tout est de trouver la bonne formule pour faire évoluer son actionnariat sans rupture. Je suis pour le « soft landing » l’atterrissage en douceur. Regardons ce qui s’est passé chez notre voisin Marocain. Un groupe de privés marocains a poussé le consortium hispano-portugais conduit par Telefonica à céder ses parts dans Meditel, il y’a deux ou trois ans. Ils ont appelé le français Orange au secours. Et ont cédé 40% du capital à un petit prix. C’est ce qui nous pend au nez.

Vous plaidez pour l’algérianisation progressive du tour de table de OTA (détenteur de Djezzy), en maintenant une continuité avec l’actionnaire de référence qui a aujourd’hui évolué devenant Russo-Norvégo-Egyptien. Mais est ce que l’on peut couper à l’entrée d’un grand acteur technologique, si l’on veut rattraper le gap actuel, l’Algérie est toujours en GSM ?

Ce qui est en débat ce n’est pas l’entrée d’un grand opérateur détenteur de technologie ou pas, mais les conditions de cette entrée. Je note ici qu’il y ‘ a trois ou quatre ans tout le monde considérait que Orange avait raté le Maghreb dans sa stratégie à l’international. Ils viennent de rentrer en six mois en Tunisie et au Maroc, dans des conditions de marché plus favorables qu’il y’a quelques années. A nous d’éviter ce scénario. Si Orange ou un autre doit venir en Algérie, c’est encore bien sûr possible, que cela ne se produise pas dans des conditions défavorables pour le pays. Ceux qui pensent que l’Etat Algérien peut acheter Djezzy puis le vendre à sa guise à un autre grand opérateur international se trompent. Ce n’est pas comme cela que cela se passe. Il y’ aura une perte de valeur considérable. La solution de l’évolution progressive peut par contre s’appuyer sur un potentiel technique existant. Djezzy c’est tout de même une boite de 4500 à 5000 employés qui ont un haut niveau d’expertise. Ils sont à plus de 90% algériens.

Source : Maghreb Emergent au 25/10/2010

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