lundi 11 octobre 2010

L’exercice du droit de préemption sur la seconde licence de téléphonie dans l’impasse : Djezzy va coûter très cher au contribuable


Le gouvernement algérien veut toujours exercer son droit de préemption sur Djezzy dont le propriétaire OTH est désormais contrôlé par le russe Vimpelcom. Mais personne dans le camp des officiels algériens n’explique la logique économique de cette opération à plusieurs milliards de dollars. Personne, parce qu’il se précise bien, pour les experts, qu’il s’agit d’un «caprice présidentiel» qui est en train d’enfermer l’Algérie dans une impasse.

Le ministre algérien des Technologies de l’information et de la Communication (TIC), Moussa Benhamadi, intervenait mercredi dernier à Guadalajara au Mexique devant la conférence de l’Union internationale des télécommunications (UIT).


Le même jour se discutait à Alger le sort de Djezzy avec le patron de Vimpelcom venu dans le sillage du président russe, Dmitiri Medevedev. Le ministre algérien n’a pas jugé nécessaire de changer son agenda. Un signe clair, le dossier Djezzy est une affaire purement présidentielle. Le point de vue des experts, chargés en sus du secteur des TIC, comme c’est le cas de Moussa Benhamadi, reconnu pour sa parfaite connaissance du business de la téléphonie, n’est pas celui qui prévaut à Alger.

Conséquence, le gouvernement algérien s’est contenté de répéter son point de vue officiel sur la question : pas question que le propriétaire de licence de Djezzy change sans que l’Algérie ne rachète l’actif conformément au droit de préemption qu’elle s’est donné dans toutes les cessions d’actifs étrangers dans le pays. Cependant, le sentiment qui émerge après cette accélération brutale du dossier de la Holding Orascom Telecom passé sous contrôle du second opérateur russe de téléphonie Vimpelcom, est un piège qui vient de se refermer sur le gouvernement algérien. Le patron de Vimpelcom, Alexander Izosimov, a réaffiché le prix de Djezzy, 7,8 milliards de dollars. C’était celui de Naguib Sawiris, jugé irréaliste par les officiels algériens.

«Le rapport de force n’est pas le même face à Vimpelcom»

Le président Bouteflika qui suit très personnellement ce dossier savait-il qu’il se retrouverait face à de nouveaux interlocuteurs embarrassants au sujet du sort de Djezzy ? «A l’évidence non. Le président pensait qu’en faisant tonner son ministre des Finances comme en avril dernier contre le sud-africain MTN, il dissuaderait tout repreneur de OTH d’avancer sans passer d’abord par Alger.
Les Russes n’ont pas eu peur d’acheter d’abord puis de venir négocier ensuite. Dans un timing qui a pris de vitesse l’administration locale. Cela montre qu’ils ont un plan sûr comment traiter le cas Djezzy. Le rapport de force n’est plus le même face à Vimpelcom. La question est donc de savoir si la démarche présidentielle de dévalorisation de Djezzy par les redressements fiscaux et les amendes de la banque d’Algérie peut se poursuivre encore face aux Russes», s’interroge un expert financier algérien, qui a requis l’anonymat.

En effet, la stratégie affichée depuis l’automne dernier par les autorités algériennes est de mettre la pression, sans doute en partie à juste raison, sur les comptes de la filiale algérienne du groupe OTH. Après le redressement fiscal historique de l’automne dernier, assorti d’une amende, culminant à 596,6 millions de dollars, la pression ne s’est pas relâchée en 2010. La direction des grandes entreprises (DGE) vient de notifier un autre redressement de 17 milliards de dinars (230 millions de dollars) sur des exercices suivants, tandis que la Banque d’Algérie exige de OTA, détentrice de Djezzy, une compensation de 193 millions d’euros, sanctionnant, de son point de vue, de fausses déclarations dans les transferts de devises.

Cette démarche de mise sous pression de Djezzy a connu une dramatisation avec l’introduction d’une action dans le pénal contre le PDG de OTA, Thamer El Mahdi, pour infraction à la législation des changes. «Si à la place de Thamer El Mahdi débarque demain un management russe ou international représentant le nouvel actionnaire majoritaire de OTH, la stratégie de harcèlement fiscal et bancaire de Djezzy atteindra vite ses limites. On comprend mieux pourquoi les Algériens ne veulent parler qu’aux Egyptiens sur ce dossier. Ils n’ont pas réfléchi à un plan B. Celui dans lequel les Egyptiens sortent du jeu. Et la vérité, c’est que nous sommes dans ce cas», affirme le même expert.

«Six mois pour faire une offre sur Djezzy, pas sérieux»

Pour une autre source, consultant dans les Télécom, «pourquoi chercher un plan B. Il n’y a jamais eu vraiment de plan A». Au lendemain de la visite de la délégation russe «ma conviction est faite : l’Algérie navigue à vue (…) Nous apprenons que c’est directement le président de la République qui fait stopper le processus d’évaluation de la valeur de Djezzy et que cette opération était conduite par le cabinet algérien Hadj-Ali. Cela ne fait pas très sérieux, car les Egyptiens auraient refusé dans tous les cas l’estimation d’un cabinet algérien et d’ailleurs je me souviens que le ministre des TIC avait annoncé que cette tâche allait être confiée à un grand cabinet international.

Il y a maintenant près de six mois que l’Algérie a affirmé l’exercice du droit de préemption sur Djezzy lorsque le sud-africain MTN s’apprêtait à racheter Orascom en avril dernier. Et après tout ce temps, il y a juste un processus d’évaluation à l’arrêt. Moi je dis que le gouvernement ne sait pas où il veut aller et que Russes et Egyptiens l’ont parfaitement compris». Le grand retard dans l’esquisse d’une contre-offre algérienne pour le rachat – en fait la nationalisation - de Djezzy était-il voulu ? C’est le point de vue d’une troisième source, ancien responsable de holding publique :

«Le processus d’évaluation était à mon sens un gain de temps. L’objectif était d’amener OTA à considérer qu’il valait mieux céder à un prix bas que de se retrouver à perdre de l’argent avec la licence algérienne. Les rapatriements de dividendes deviennent impossibles, les redressements fiscaux assèchent la trésorerie. Cela peut rapidement devenir un gouffre financier. Mais cette stratégie a échoué, puisqu’il y a tout de même de nouveaux propriétaires auxquels il faudra bien faire une offre d’achat. Je ne sais pas si nos responsables peuvent poursuivre en 2011 la même politique contre Djezzy pour la dévaloriser et cela sans tenir compte du fait qu’ils affectent d’autres intérêts que ceux des Egyptiens, contre lesquels toute cette histoire a commencé.»

Le rachat de Djezzy signifie une exportation massive de devises

Pour bien comprendre l’impasse dans laquelle se retrouve, dans le dossier Djezzy, le président Bouteflika, grand timonier de la réappropriation des actifs étrangers cédés par lui-même en Algérie au début de ses mandats, le parallèle avec l’affaire BP. Le major britannique, en difficulté financière, veut céder des actifs dans le monde dont ceux qu’il détient en Algérie (principalement gisement d’In Salah). C’est à une joint venture avec le russe TNK que BP a proposé ses parts dans l’amont algérien. L’Algérie veut exercer son droit légal de préemption. Côté BP, vendre directement à Sonatrach est plus intéressant ; dans le cas de la joint venture TNK, elle céderait ses actifs à seulement 50%.

Côté algérien, le pays dispose d’un véhicule d’acquisition, Sonatrach bien sûr, qui retrouve une opportunité de consolider ses réserves propres en gaz naturel, un front devenu tendu ces dernières années. Rien de cela dans le dossier de Djezzy, le véhicule pour se rendre acquéreur de la seconde licence de téléphonie mobile n’existe pas. Aucun officiel n’ose dire que ce sera Algérie Télécom. Le le Fonds national d’investissement (FNI) est sous-capitalisé pour une telle opération. Et quel serait l’intérêt stratégique de devenir majoritaire dans le tour de table sans expertise internationale d’un management adossé à un grand opérateur de téléphonie ?

A Alger, toutes les chancelleries ont bien en tête que ce feuilleton Djezzy a commencé sur une colère présidentielle, largement affichée dans le discours anti-IDE, du 26 juillet 2008 face aux walis. Le premier ministre, Ahmed Ouyahia, toujours très zélé dans ce type de mission, a tenté de donner une rationalité à la nouvelle phobie présidentielle vis-à-vis d’Orascom, qu’il avait laissé acquérir de grands marchés – y compris en dehors de ses métiers, jusqu’en 2007. Il a sonné la protection de la balance des paiements algérienne menacée par des rapatriements trop importants de dividendes en 2007, la part du lion revenant à OTA.

Le problème est que l’insistance présidentielle pour racheter vaille que vaille Djezzy – pour en faire quoi ? – signifie dans tous les scénarios une exportation de plusieurs milliards de dollars. Qu’en pense les Algériens ?

Source : Supplément Watan Economie au 11/10/2010

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