mercredi 5 janvier 2011

Le droit de préemption est-il vraiment une menace pour le climat des aff aires en Algérie


En décembre 2007, l’Algérie s’est réveillée sur la funeste annonce du groupe égyptien Orascom Construction, qui vient de céder dans la plus grande discrétion, et sans aviser le gouvernement algérien, comme il se doit,(1) l’intégralité de ses actifs en Orascom Cement, dont font partie les cimenteries d’Algérie, pour un montant de 8,8 milliards d’euros.

Cette transaction commerciale internationale, réalisée à l’insu des autorités algériennes a suscité la colère du gouvernement au plus haut niveau, le président de la République n’a pas caché son vif mécontentement quant à ladite transaction, il a qualifié ce geste de la part du groupe égyptien de «déloyal» (2). En fait, le gouvernement algérien s’est senti trahi par l’investisseur égyptien, du fait de l’aide qu’il avait consentie pour ces projets, en particulier des faveurs fiscales et des subventions. En 2009, le groupe Orascom voulait rééditer l’opération de cession d’actifs, de sa branche de téléphonie mobile, appelée communément « Djezzy » au profit, en premier lieu, du sud-africain MTN, et à l’opérateur russe, Vimpelcom, en second lieu, les deux tentatives ont reçu le niet catégorique des autorités algériennes, l’Algérie compte exercer son droit de préemption. En effet, la mauvaise expérience de l’affaire Lafarge a contraint le gouvernement algérien à prendre une série de mesures destinées à la réforme de l’investissement direct étranger, entre autres, le droit de préemption. Que signifie donc ce droit qui a fait couler beaucoup d’encre et fait si peur de nuire à l’environnement des affaires en Algérie ? Le droit de préemption est défini comme un droit légal ou contractuel accordé à certaines personnes privées ou publiques d’acquérir un bien par priorité à toute autre personne, lorsque le propriétaire manifeste sa volonté de le vendre.

Il résulte de cette définition, que le droit de préemption est la conséquence soit de la loi, soit d’un contrat entre les intéressés. S’agissant du droit de préemption que le gouvernement algérien compte exercer dans l’affaire Djezzy, il est clair qu’il résulte d’une disposition de la loi de finances complémentaire de 2009, qui stipule dans son article 62 que «l’Etat, ainsi que les entreprises publiques disposent d’un droit de préemption sur toutes les cessions de participations des actionnaires étrangers ou au profit d’actionnaires étrangers». Mais certains spécialistes et investisseurs nationaux comme étrangers sont montés au créneau, avertissant ouvertement les autorités algériennes des conséquences désastreuses d’une telle démarche si elle venait à être exercée, tant sur le plan juridique, que sur le climat des affaires en Algérie.

SUR LE PLAN JURIDIQUE

Le grand problème, selon eux, est que ce droit doit figurer dans le contrat initial, car l’effet rétroactif des lois n’est pas admis dans le droit international. A ce titre, la licence de GSM a été octroyée à Orascom en 2001, alors que le droit de préemption que compte exercer le gouvernement algérien n’a été prévu que dans la loi de finances complémentaire de 2009, et de ce fait, l’Algérie ne peut pas rétroactiver son droit de préemption, l’influence de ce droit ne peut en aucun se porter sur des faits antérieurs. Ceci dit, le gouvernement algérien s’il maintient l’exercice de son droit, risque de perdre la bataille judiciaire devant les instances d’arbitrages internationales, au cas où le groupe égyptien décide de recourir à l’arbitrage.

SUR LE CLIMAT DES AFFAIRES EN ALGÉRIE

Ce droit de préemption, ainsi que la série de mesures prises, à l’issue de l’affaire Lafarge, auront certainement des répercussions sur les investissements directs étrangers, d’ailleurs un net ralentissement a été constaté. Le climat des affaires en Algérie est incertain, du fait de l’instabilité des lois et règlementations fiscales, jugées souvent protectionnistes, voire arbitraires par certains opérateurs économiques. D’ailleurs, le pouvoir algérien a la réputation d’être protectionniste, il veut contrôler toutes les transactions menées par les opérateurs étrangers sur son territoire. Il est reproché aussi à la stratégie économique de l’Algérie, le manque de visibilité et de cohérence, à moyen et long termes, l’Etat n’a pas fait un choix définitif, parfois il adopte une politique économique ouverte et libérale et d’autres fois une politique dirigée, avec un monopole de l’Etat sur tous les aspects, on dirait qu’il a la nostalgie de l’époque révolutionnaires des années 70 du siècle passé. Si on compare la manière avec laquelle le gouvernement algérien gère le dossier Djezzy à la façon avec laquelle l’Etat tunisien a mené la cession des actifs du même opérateur égyptien, Orascom, de sa branche Tunisiana, on voit clairement l’aboutissement de la stratégie tunisienne où tout le monde est satisfait, par rapport à l’enlisement du cas de Djezzy qui pourrait aboutir à un contentieux devant l’arbitrage. Il est à rappeler que déjà le gouvernement algérien par le biais du ministère de la Promotion des investissements, a mal géré le dossier des cimenteries, ce qui a permis au groupe français Lafarge de mettre les pieds en Algérie. Après avoir dressé sommairement les avis et opinions de certains spécialistes et investisseurs, reprochant à l’Etat algérien d’user de son droit de préemption, des questions méritent d’être posées. En fait, est ce que ces reproches acerbes de la part des spécialistes et investisseurs étrangers et locaux envers la démarche du gouvernement algérien sont fondés et innocents de toute connotation politique ? Est-ce que le côté face de la démarche gouvernementale et aussi noir que le côté pile ? Les enjeux politiques et économiques sont vraiment très grands pour pouvoir répondre objectivement à ces questions, le milieu politique, économique et social, ainsi que le contexte international dans lequel évolue la démarche du gouvernement a été parmi les causes qui ont poussé le l’Etat à adopter cette stratégie économique.

1- S’agissant des reproches d’ordre juridique, il faut garder à l’esprit que le droit de préemption que compte exercer l’Etat algérien puise sa force d’un droit légal et non d’un droit contractuel, c’est la loi de finances complémentaire de 2009 qui a prescrit ce droit. Aussi, Il est nécessaire de rapporter que l’article 19 du cahier des charges exige que l’Autorité de régulation (ARPT) doit être avertie avant toute transaction(3), aussi l’article 3 du décret 01-219, qui régit le marché du GSM,stipule que la licence acquise dans ce cadre «est personnelle et ne peut être cédée ou transférée que dans le cadre et conformément aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur et aux conditions fixées dans le cahier des charges et de l’article 40 qui stipule expressément que toute modification affectant la participation directe ou indirecte dans le capital social doit faire l’objet d’une notification préalable à l’ARPT». Ceci montre clairement que le reproche relatif à la non-rétroactivité des lois dans le droit international n’a pas lieu d’être évoqué, du moment qu’Orascom n’a pas respecté ses engagements contractuels, que ce soit dans l’affaire des cimenteries ou dans celle de Djezzy, l’obligation d’avoir le consentement des autorités Algériennes a été prescrit dans le cahier des charges et dans le contrat d’octroi de la licence, bien avant 2009, la loi de finances complémentaires de 2009 n’a fait que réaffirmer ce droit de préemption, déjà acquis au gouvernement algérien.

2- En ce qui concerne les effets nuisibles sur le climat des affaires en Algérie, au cas où l’Etat décide de préempter, il faut rappeler que ce n’est pas la première fois que l’Algérie préempte, elle a déjà bloqué en 2000 un projet de vente de BP de 40% de parts dans le champ de Rhoude El Baghel à ELF France, en exerçant son droit de préemption (4). L’exercice de ce droit est une pratique courante dans bon nombre de pays pour des raisons qu’ils jugent stratégiques. D’ailleurs, le chef de mission du FMI à Alger a affirmé que le contentieux relatif au rachat par l’Etat algérien d’Orascom Télécom Algérie n’aura pas d’effets significatifs sur l’environnement global des investissements étrangers en Algérie (5). Il ne faut nullement confondre préemption et expropriation, la différence est fondamentale : dans la préemption, le propriétaire prend l’initiative de vendre, mais le bénéficiaire du droit de préemption se substitue à l’acheteur, alors que dans le cas de l’expropriation, le propriétaire n’est pas vendeur, et sa dépossession est effectuée d’autorité par l’exploitant. Il est totalement faux de considérer l’exercice du droit de préemption comme une nationalisation, tel que le font les adversaires de la démarche du gouvernement. Etre un Etat protectionniste n’est pas un défaut, mais plutôt une qualité, où en est le droit de préemption comparé au dumping exercé par les occidentaux pour sauver leur économie intérieure, notamment dans le domaine de l’agriculture, toute en détruisant les cultures vivrières de certains pays excrément pauvres de l’hémisphère Sud, l’exemple du Mali face aux Etats-Unis dans l’affaire du coton, reflète la parfaite réalité.(6) Les pratiques du commerce international exercées par les pays riches ont été qualifiées par de nombreux spécialistes d’inhumaines et immorales, ils appellent à revoir complètement les règles de l’économie de marché afin de les moraliser. En outre, la crise financière mondiale a poussé les Occidentaux à retourner au rôle de l’Etat interventionniste et protectionniste au lieu de l’Etat régulateur exercé auparavant, les plans de sauvetage financiers destinés aux industriels et aux banquiers en faillite comporten des sommes faramineuses. Par ailleurs, ceux qui ont comparé la manière insatisfaisante avec laquelle l’Algérie gère le dossier de Djezzy, avec celle totalement fructueuse adoptée par l’Etat tunisien dans le dossier de Tunisiana, ont oublié un détail important et déterminant, à savoir l’attitude du groupe égyptien Orascom envers les autorités des deux pays magrébins. Si le groupe égyptien entretenait de bonnes relations avec l’Etat tunisien, c’est totalement le contraire avec l’Etat algérien où les relations sont vraiment tendues, pour les raisons suivntes :

- Orascom tenait beaucoup à son image de marque qui a été secouée par le différend algérien, donnant l’impression qu’elle est coopératrice avec l’Etat tunisien qui respecte les règles de l’économie de marché, à l’encontre de l’Etat algérien qui veut exproprier sa filiale Djezzy.

- Orascom savait très bien que le gouvernement algérien ne pardonnera jamais la cession, à son insu des actifs des cimenteries au groupe français Lafarge, ce geste a été qualifiée d’ingrat et de trahison de la part d’Orascom, la plus-value que ce soit dans les cimenteries ou dans la filiale Djezzy a été réalisée grâce aux largesses bancaires et fiscales octroyées par le gouvernement algérien et dont a profité Orascom. Certes, l’Algérie ne dispose pas des moyens et outils (structures) efficients et performants pour avoir une meilleure visibilité économique. A titre d’exemple, la Bourse d’Alger est mort-née dès sa création, elle vit dans une totale hibernation, déconnectée de toute réalité économique, mais ceci n’empêche pas l’Etat d’établir et de mettre en place un code de conduite et des règles permettant de préserver les richesses du pays, il faut être optimiste, le climat des affaires en Algérie sera propice, l’avenir le confirmera.


Notes de renvoi :
1) Challenge du 10/12/2007.
2) Discours du Président Bouteflika prononcé le 26/07/2008.
3) Décret exécutif n° 01-124 du 09/05/2001.
4) Le temps d’Algérie du 07/12/2010 «Cession d’actifs de BP, l’Algérie compte exercer son droit de préemption».
5) APS le 05/11/2010.
6) J. Ziegler : «La haine de l’Occident».

Source : Journal El Watan du 05/01/2011

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