lundi 24 octobre 2011

Djezzy : Bouteflika joue perdant avec une montagne d’argent public

Le ministre des finances, Karim Djoudi, affirme que rien n’a changé dans l’affaire Djezzy. Son gouvernement veut toujours exercer le droit de préemption de l’Algérie sur les investissements étrangers qui changent de main. Coût de la transaction autour de 3,3 milliards de dollars. C’est sans doute ce que le Trésor public algérien devra décaisser et la banque d’Algérie exporter pour satisfaire à l’acquisition de 51% d’OTA.

La prise de contrôle d’OTA équivaut à deux années moyennes de flux entrant d’IDE. En sens inverse. Au coût des 68 km de la seconde rocade autoroutière d’Alger. Où encore équivalent à 3 fois le prix contractuel de construction de la Grande Mosquée d’Alger attribuée au chinois CRSCEC. Le ministre des Finances peine à être convaincant lorsqu’il affirme que «l’évaluation n’est pas arrivée à son terme». Le cabinet Shearman and Sterling LLP France a été sélectionné début janvier dernier contre 2,5 millions de dollars pour rendre son évaluation au bout de 100 jours. Le délai est terminé depuis bientôt 200 jours.

La vérité dans ce mensonge d’Etat est que le montant de l’évaluation est beaucoup plus près des 7,8 milliards de dollars revendiqués par les propriétaires nouveaux et anciens d’OTA. Le titre OTA a gagné 10% en septembre dernier à la seule rumeur d’une fuite selon laquelle l’évaluation du cabinet Shearman and Sterling a bien été «esquissée» au gouvernement algérien, et qu’elle retombait près des 7 milliards de dollars. La visite à Alger du président du groupe Russo-Norvégien Vimpelcom, la semaine dernière, et l’échec d’un accord confortent ce scénario. L’embarras de moins en moins discret des autorités algériennes dans ce dossier a bien une origine.

L’acquisition de la majorité dans OTA est une amputation historique des finances publiques. Elle équivaut au PIB de la Mauritanie. Rétrospectivement, la nationalisation des hydrocarbures en 1971 n’a pas, en dollars constants, valu autant en indemnisations. Mais au moins dans ce cas, la nationalisation avait du sens. Lorsque le baril a pris de la valeur à partir de 1973, c’est la fiscalité pétrolière et les réserves de change qui ont décollé. Tout l’inverse de l’opération Djezzy de 2009-2011. La prise en portefeuille d’une majorité publique dans OTA n’est pas seulement une exportation record de capitaux, elle est une destruction inévitable de valeur. L’idée implicite du gouvernement algérien de revendre ses actions à un partenaire de son choix est une lubie.

Tous les spécialistes le disent, l’opération ne peut pas passer entre les mains d’un propriétaire étatique et conserver sa valeur. Sans compter qu’elle pose le problème du 51%-49%. Pour amener T.Mobile, Orange ou Vodaphone dans le capital d’OTA nationalisé, il faudrait d’abord l’acheter toute entière. Et le chèque qui va avec est imprononçable.

Il faut conclure de tout cela que l’affaire Djezzy est l’avatar d’un entêtement politique au mépris intégral pour les deniers de l’Etat. Doublé d’une incompétence opérationnelle sans précédent. Le dossier pour l’arbitrage international des propriétaires d’OTA est truffé des «maladresses algériennes». La justice internationale est, de l’aveu d’un ministre, sans issue pour Alger dans «ce droit de préemption à effet rétroactif». A la source de cet entêtement, le président Bouteflika bien sûr. Il n’appartient pas à cet espace de chercher les ressorts véritables du désamour brutal de Bouteflika pour les Sawiris.

Lorsque cette embrouille entre partenaires – pas nécessairement pour le pire, car OTA est une réussite utile au marché – déborde le cadre privé pour prendre en otages des millions de contribuables algériens rançonnés pour payer le rachat de Djezzy, l’affaire se pare d’une gravité sans précédent. Sur laquelle les autres centres de pouvoir en Algérie maintiennent un silence coupable. Et intéressé. Tout le monde sait que la «démonopolisation» des télécoms n’a jamais été du goût des services de sécurité algériens, habitués à une tutelle tranquille sur les PTT. Il existe objectivement un consensus implicite «intra muros» pour remettre ce secteur au pas.

De l’autorité publique… c’est-à-dire sécuritaire. Un zeste de pensée nord-coréenne. Les décideurs – présidence et militaires — sont d’accord pour enlever Djezzy aux propriétaires étrangers. Novices en droit des affaires internationales, ils sont prêts à le faire payer – pour des motivations différentes – très cher aux Algériens. Pour aller vite à la 4G et à la connectivité globale du monde de demain ? Pour garder les petits avantages entre amis. La puce VIP Mobilis du défunt faiseur de présidents décédé il y a plus de deux ans n’a toujours pas été désactivée. Pas la faute de sa famille, personne chez l’opérateur historique n’a osé régulariser le statut de ce client disparu. Là aussi, le montant de la facture est imprononçable.

Source : El Watan Économie au 24/10/2011

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