lundi 31 mai 2010

Omar Berkouk : «La valeur de Djezzy sera déterminée par l’état des rapports de force…»


Expert financier international, associé à 2 BMS Ingenierie El Djazair, Omar Berkouk évoque l’affaire Djezzy, les intentions de Naguib Sawiris et la démarche du gouvernement algérien.
OTH vient d’annoncer qu’il a demandé formellement au gouvernement algérien l’ouverture de négociations pour la cession de Djezzy. Cette annonce a permis au titre d’OTH, en baisse depuis plusieurs semaines sur la place du Caire de rebondir vigoureusement. Pensez vous que les propriétaires d’OTH ont vraiment l’intention de se séparer de leur opération en Algérie sans céder l’ensemble de l’activité Télécom ?

La question qui se pose aujourd’hui à Naguib Sawiris est tout simplement la sauvegarde de la valeur du groupe OTH dont la pépite est OTA/DJEZZY. Pour face aux difficultés croissantes en Algérie depuis la mi-novembre 2009, il a recherché différentes solutions qui l’ont amenées à considérer la vente globale du groupe OTH pour sortir du « corner » où il s’est mis en Algérie. Il est vrai que le redressement fiscal de près de 600 millions dollars US qui lui a été notifié, le droit de préemption sur la vente de la licence de téléphonie mobile, la relative désaffection des clients algériens qui a affecté les résultats de Djezzy et donc ceux d’OTH sont des menaces sérieuses sur la valeur du groupe OTH. On peut donc affirmer sans trop se tromper que l’intention de vendre tout le groupe ne répondant qu’à un seul souci, sortir de l’imbroglio algérien en évitant une dévalorisation brutale de son principal actif OTA. L’ouverture de discussions exclusives par les propriétaires d’OTH avec le gouvernement algérien pour la vente de Djezzy est tout à fait compatible avec le maintien de l’actionnariat actuel d’OTH tant que le prix de vente de Djezzy reste « convenable » pour cet actionnariat. Le marché donne tous les jours à travers la cotation de l’action d’OTH une valeur implicite à Djezzy. C’est la question essentielle pour les actionnaires actuels d’OTH. La cession à un prix « juste » de cette filiale revalorisera le titre OTH qui sousperforme l’indice Hermès de son secteur d’au moins 30%. Après la cession de Djezzy, le groupe OTH peut rester dans les mêmes mains mais avec un problème de redéploiement stratégique et du cash, ou bien être cédé avec beaucoup moins de problèmes à résoudre.


Quelles chances pensez vous que ces négociations ont-elles d’aboutir ? Quel sera le mécanisme de fixation de la valeur de Djezzy ? Y’a-t-il un risque pour l’Etat Algérien de se retrouver entraîner devant un arbitrage international en cas d’impasse ?


Les négociations finiront bien par aboutir tant la volonté des parties à « divorcer » est grande, nonobstant leurs affirmations contraires réciproques. Et pour rester sur ce thème du divorce, il se passe vite et bien si les parties sont d’accord sur la valeur du patrimoine et les modalités de partage. Dans le cas qui nous préoccupe, il faut considérer l’état des rapports de force pour déterminer le prix de la transaction. Ce rapport de force est, à l’évidence, en faveur de l’Etat algérien. Il s’est positionné par le droit de préemption et la menace de non-renouvellement de la licence de téléphonie mobile comme l’acheteur unique. Il a découragé ceux qui se sont présentés. Ainsi, il y a bien un prix de marché objectif pour Djezzy. Les méthodes pour le déterminer sont multiples et connues par tous les analyses de valeurs (Mulipe d’EBITDA, les comparables, multiple de bénéfices etc…). Mais lorsque vous n’avez qu’une contrepartie (obligatoire) le vendeur peut se sentir « lésé » par le prix que l’unique acheteur est prêt à payer. On peut donc affirmer que la valeur de Djezzy sera déterminée par l’état des rapports de force diplomatique, médiatique et juridique (arbitrage).



Les spécialistes prêtent aux autorités algériennes l’intention de racheter Djezzy et d’opérer à sa revente eux-mêmes pour bénéficier d’une éventuelle plus-value. Comment appréciez-vous cette prise de risque ? Sur un plan financier, l’Etat Algérien devra mobiliser des ressources pour acquérir Djezzy, selon quel montage cela est-il envisageable ? N’y a-t-il pas un risque managérial de dépréciation de l’affaire avec l’instabilité annoncée sur l’identité du propriétaire ?


Cela rejoint la question du juste prix de Djezzy et les contestations éventuelles devant une instance arbitrale internationale. S’il est dans les intentions des autorités algériennes de racheter Djezzy en dessous de sa valeur pour le revendre immédiatement avec une plus-value, cela serait une grave erreur qui démontrerait, s’il en est, la « spoliation » des intérêts d’OTH. C’est ce qui s’est passé avec Bernard Tapie et le Crédit Lyonnais dans l’affaire Adidas ! La question des ressources à mobiliser n’est pas un problème pour l’Etat algérien. La véritable question est la structuration du partage de cette société et/ou de l’entité qui va acquérir Djezzy pour le compte de l’Etat, justement pour éviter les écueils d’une plus value immédiate « injustifiée » économiquement.

Sur la période de transition de la cession de Djezzy à l’Etat algérien jusqu’à la stabilisation définitive de son actionnariat, il sera urgent de déterminer l’opérateur « professionnel » qui en assurera la bonne conduite des affaires. Cette période sera cruciale parce que propice à la compétition pour prendre des parts de marché mais également déstabilisante pour la mobilisation des employés et la fidélité des clients.

Source : Maghreb Emergent au 31/05/2010

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