samedi 20 août 2011

Les tribulations d’un zmigri à la poste

Voilà, c’est l’histoire banale mais vraie d’un émigré en vacances à Alger pour y passer le Ramadan et qui veut établir un abonnement ADSL (Internet) chez lui. Le premier jour du Ramadan, il se dirige vers la poste de Hussein Dey où on lui explique que la ligne lui sera établie dans les 2 ou 3 jours après le dépôt du dossier.

Il opte pour un abonnement de 6 mois (même s’il n’en utilisera que le premier mois vu qu’il repartira en France après l’Aïd) et se lance dans la procédure qui suit :
- Premier jour du Ramadan : la ligne téléphonique étant au nom du frère de l’intéressé, on demande à ce dernier d’aller chercher la pièce d’identité de son frère pour pouvoir faire les démarches nécessaires.

- Premier jour du Ramadan (bis) : après un long aller et retour à Alger-Centre pour récupérer le document d’identité demandé, l’intéressé repasse au guichet avec une autre personne qui lui explique que ce n’est pas la bonne façon de faire et lui demande plutôt de remplir un document attestant qu’il est responsable de la ligne en question et de le faire légaliser à la mairie.
- Premier jour du Ramadan (ter) : après un aller et retour à la mairie, et une nouvelle attente au guichet, l’intéressé se voit notifier que le système informatique est en panne et on lui conseille de repasser dans la soirée après la rupture du jeûne.

- Premier jour du Ramadan (en soirée) : nouveau passage à la poste et cette fois-ci notre zmigri trouve un jeune homme tout à fait compétent qui a la tchatche, qui connaît tout et sait tout faire… sauf malheureusement son travail. Ce dernier lui explique gentiment qu’établir un contrat d’abonnement ADSL n’est pas de ses compétences et qu’il doit repasser, dans la journée, voir un de ses collègues en lui précisant au passage d’éviter le type aux yeux verts.

- Deuxième jour du Ramadan : nouvel épisode à la poste, la dame qui l’avait reçu la veille et lui avait conseillé de passer dans la soirée s’étonne de le voir de nouveau. Enfin, après qu’il lui expliqua ce qui s’est passé, elle daigne à contrecœur lui établir le contrat d’abonnement tout en marmonnant «bda yekhmaj ella’ab». Tout content de son modem ADSL, le zmigri rentre chez lui, l’installe et attend… 2, 3, 4, 5 jours passent ainsi en attente et comme la ligne n’est toujours pas établie il repasse à la poste :

- septième jour du Ramadan : notre intéressé pointe de nouveau au service clientèle en charge de la téléphonie de la poste de Hussein Dey et demande à savoir où en est sa demande d’abonnement ? La dame qui le reçoit gentiment au guichet lui explique tout à fait normalement qu’elle n’en sait rien. Son rôle s’arrête au niveau de l’établissement du contrat d’abonnement, le reste relève du service technique qui d’ailleurs ne reçoit pas les clients. Notre intéressé s’inquiète : si le service marketing ne sait pas répondre à sa requête et que le service technique ne reçoit pas les clients il se demande comment il va s’en sortir ? La gentille dame du guichet lui donne la solution idéale : il faut appeler le 12 et leur dire que la ligne est en panne pour qu’un technicien daigne s’intéresser à son cas. Après plusieurs essais vains pour joindre le 12 (ligne toujours occupée), notre zmigri décide de retourner à la poste et insister pour voir quelqu’un du service technique :

- Septième jour du Ramadan (bis) : après avoir fortement insisté auprès du portier, notre intéressé réussi à entrer dans le bâtiment du service technique et trouve quelqu’un qui par compassion accepte de s’occuper de son cas. Après maintes recherches, il découvre que la fiche de notre client n’a jamais été transmise au service technique… Ça peut arriver, l’erreur est humaine ! Retour donc au service marketing, une nouvelle dame gentille et compatissante lui fait une nouvelle fiche qu’elle transmet sur le champ au service technique avec mot d’ordre d’établissement urgent de la connexion ADSL. Elle lui promet que la ligne sera activée dans la journée et s’il rencontre un problème quelconque il n’a qu’à revenir le lendemain la voir en personne. Rassuré, notre pauvre zmigri rentre chez lui rassurer à son tour ses enfants qui s’impatientent d’avoir l’accès à Internet pour s’occuper durant les longues journées de jeûne. Evidemment, en fin de soirée, la ligne n’est toujours pas établie et le vaillant zmigri repasse à la poste en question :

- Septième jour du Ramadan (en soirée) : après la prière des tarawih, l’intéressé fait un saut à la poste et y trouve une dizaine de personnes en attente devant lui. Il est 23h et le service ferme à minuit… Il fait vite ses calculs et comprend qu’il n’a aucune chance d’obtenir gain de cause. Il rentre chez lui bredouille.

- Huitième jour du Ramadan : un peu énervé (il y a de quoi quand même), il repasse au service clients et cherche en vain la dame qui lui a dit de revenir la voir en cas de problème. Ce n’est pas grave, il retrouve quand même la première dame qui lui a établi le contrat et lui réexplique son cas. Elle s’étonne et s’indigne vu que c’est elle-même qui a établi et transmis la fiche de ce client et s’acharne à retrouver la preuve de ce qu’elle affirme. Ne retrouvant rien (c’est normal, il n y a rien à trouver), elle revient vers le client et lui dit : «De toute façon on t’a refait une nouvelle fiche hier»! A bout d’arguments, notre client force à nouveau le passage au service technique et se fait renvoyer de bureau en bureau jusqu’à ce qu’il trouve sa fiche bien classée dans un des bureaux. Il s’indigne de cette mascarade et une nouvelle fois il se fait promettre que son cas ne saurait tarder et que la connexion sera effective dans les heures qui viennent. Résigné, il rentre chez lui et essaie de faire patienter ses enfants autant que possible. L’attente continue, 1, 2, 3 jours passent et toujours rien. Il demande alors à un ami s’il serait adéquat de se faire rembourser son argent et d’annuler le contrat pour cause de non-satisfaction et non-respect des délais. Avec un sourire indulgent, l’ami en question lui explique que les choses ne se passent pas comme ça dans notre pays et lui conseille plutôt de revenir à la charge ou éventuellement de faire intervenir certaines personnes bien placées pour régler le problème. Notre zmigri, ayant toujours critiqué le système interventionniste qui prédomine en Algérie, préfère préserver son intégrité et revenir plutôt au bureau de poste.

- Onzième jour du Ramadan : très énervé et frustré, notre cher zmigri passe directement au service technique et retrouve la personne qui lui a fait la promesse de connexion immédiate. Après un échange tendu, ce dernier explique à notre client que son dossier est «compliqué» et n’ayant pas été traité «correctement» (par qui ?) il n’était pas possible d’établir normalement la connexion par mesure de précaution ! Ne comprenant rien à ce charabia (d’autant plus qu’il s’avère que le zmigri est professeur universitaire dans le domaine des télécommunications et sait ô combien l’établissement d’une connexion ADSL est simple… du moins en théorie dans un service normal), l’intéressé insiste et obtient gain de cause. Son interlocuteur, dans un geste de générosité magnanime, promet solennellement qu’il prend en charge en personne le dossier et prend note du nom et numéro de téléphone du client. Le geste est tellement fort et convaincant que voilà notre client de nouveau rassuré. Toutefois, touché par ce manquement au sens des responsabilités et l’absence totale de la notion de service, il décide d’aller voir le responsable du service marketing pour qu’il cerne les causes et trouve les responsables de tels dysfonctionnements afin d’éviter leurs reproduction dans le future. Là il y a eu un choc de cultures, le responsable n’arrive pas à comprendre ce que cherche le zmigri vu que son cas est réglé et tout rentre dans l’ordre. Il lui dit clairement que personne n’est responsable et s’il faut en désigner un c’est forcément les «statistiques» qui ont fait qu’il soit tombé dans les quelques pourcents de mauvais cas… Le 100% de réussite n’existe pas en pratique. Bref, en face d’un tel argument, le zmigri, désarmé et un peu résigné, rentre chez lui pour annoncer la bonne nouvelle à ses enfants. Devinez quoi… Il attend toujours sa connexion ! Face à cette injustice, il se tourna vers Allah et dit : «Hassbiya Allahou wa nia’ama el wakil.» Cette histoire est peut-être banale mais cette dernière invocation ne l’est pas. Il y a une justice divine et ces mêmes personnes qui se jouent des intérêts de leurs concitoyens s’adresseront demain à d’autres services et d’autres administrations et subiront les mêmes affronts et injustices.

Dr Karim Abed Meraim Télécom-Paris-Tech


Source : Journal Le Soir d'Algérie au 20/08/2011

Aucun commentaire: