mercredi 14 décembre 2011

Nawel Benkritly, DG de la SATIM : "Le paiement électronique n’est pas ouvert au public faute de réglementation"

Le retard abyssal de l’Algérie dans le paiement électronique ne tiendrait finalement qu’à un vide juridique. Mme Nawel Benkritly, DG de la Société d'Automatisation des Transactions Interbancaires et de Monétique (SATIM) fait, dans cet entretien exclusif, le tour de la monétique en Algérie, et explique ses bugs. La banque d’Algérie, le ministère des finances, et l’ARPT, pour la certification de la signature électronique, sont interpellés. Mais pas seulement eux. Document.

L’Algérie a mis en place une plate-forme interbancaire dès 2005 mais elle n’a pas été encore été totalement déployée. Où en est-on avec la monétique aujourd’hui ?

Je vous rappelle que la SATIM est une filiale des huit banques publiques, mais elle a pour clients l’ensemble des banques de la place (financière), les banques privées, et Algérie Poste. Le but de la SATIM est de permettre l’interbancarité ; c’est-à-dire de permettre pour un porteur d’une carte de paiement ou de retrait d’une banque ou d’Algérie Poste de faire un retrait sur tous les distributeurs automatiques de billets (DAB) sans aucune contraintes ou d’effectuer un paiement sur un terminal de paiement électronique (TPE) chez n’importe quel commerçant.

Pour revenir à votre question, l’interbancarité est opérationnelle, mais le nombre de TPE reste marginal. A l’échelle nationale, seulement 3500 commerçants, dont la plus grande partie à Alger, ont accepté le paiement par carte. Le plus souvent ce sont les pharmacies et les grands centres commerciaux. La plate-forme de paiement par carte a été lancée en 2007. Quant aux DAB, il en existe 800 au niveau des banques et près de 450 au niveau des bureaux d’Algérie Poste. Et chaque année il y a un nouveau programme d’installation de nouveaux DAB. Installée depuis 1997 la plate-forme de retrait (DAB) totalise aujourd’hui 25.000 retraits par jour, toutes banques confondues y compris Algérie Poste.

L’Algérien se contente de retirer son argent liquide des DAB pour ensuite le dépenser en cash. Vous ne trouvez pas que cela expurge la monétique de son essence qui est de réduire l’utilisation du cash dans les transactions courantes ?


Oui tout à fait, mais c’était un passage obligé pour amener les gens à accepter la carte. On ne peut pas du jour au lendemain imposer la carte de paiement comme seul moyen de règlement des transactions. On devait passer par plusieurs étapes. La première c’était d’amener les clients à sortir un peu des agences bancaires et d’utiliser les cartes de retrait. Mais le retrait n’est plus notre objectif, notre priorité maintenant c’est la généralisation du paiement par carte.

Pourquoi alors peine t-on toujours à généraliser le paiement par carte ?

Actuellement il y a 850.000 cartes en circulation. Ce n’est pas des millions mais ce n’est tout de même pas négligeable. Mais il faut bien admettre qu’on observe une certaine réticence des consommateurs et des commerçants. Il y a plusieurs raisons à cela. La première c’est qu’ils ne connaissent pas le produit ou il n’y a pas eu réellement de communications dans ce sens. Donc les commerçants ne voient pas l’intérêt d’utiliser le terminal de paiement dans un premier temps. La deuxième chose c’est que l’Algérien a une peur instinctive de la fiscalité : il craint la traçabilité.

Que fait la SATIM pour inciter à l’usage de la carte bancaire dans les transactions quotidiennes qui réduirait à coup sûr le poids de l’économie parallèle ainsi que le trafic de billets de banque ?

Notre objectif principal, est de déployer le paiement de masse. Au début, on s’est adressé aux commerces de proximité qu’on a trouvé réticents. Pour les amener à faire confiance, il faut que les services publics donnent l’exemple. Donc à présent on implique les grands facturiers tels que Sonelgaz, les sociétés de gestion de l’eau, Algérie Télécoms…etc. Nous sommes en voie d’élaboration d’un programme de travail pour que ces entreprises publiques et même privées, comme les opérateurs de téléphonie mobile, puissent offrir ce moyen de paiement à leurs clients. Des TPE seront installés auprès des agences paiement de ces facturiers pour proposer le paiement des factures en espèces et avec la carte. C’est opérationnel dans les agences ACTEL. L’étape suivante c’est de permettre le paiement des factures courantes à n’importe quelle heure de la journée sur les DAB comme il se fait en Europe et notamment au Portugal. C’est notre programme pour 2012.

Il faut aussi ajouter le projet de migration progressive de 5 millions de cartes de retrait Algérie Poste vers des cartes de paiement, ce qui implique la démultiplication et la diversification des point de paiement par cartes dans tout les lieux les plus fréquentés, notamment les stations de métro et de tramway.

Les stations services sont-elles concernées par ce programme ?

Naftal est impliquée dans l’opération. Le privé, quant à lui, est toujours réticent surtout que le prix est administré. Donc, ils ne voulaient pas payer la commission qu’on imposait pour les commerçants (1,5 % de la transaction). Aujourd’hui la place bancaire a réfléchi et se dit que si cette commission est un frein on la revoit à la baisse. A présent, les tarifs ont baissé. Pour toutes les transactions inférieures à 2000 DA c’est 2DA/transaction, et au-delà c’est 5 DA. Par ailleurs toutes les stations Naftal sont équipées de terminaux pour accepter déjà la carte Naftal en plus de la carte de paiement bancaire. Naftal envisage même d’installer dans les nouvelles stations des distributeurs automatiques de carburants (DAC) avec paiement par la carte. Il faut noter également qu’il y a des projets en cours pour la gestion des autoroutes. Il est prévu des stations de péage disposant de terminaux pour paiement par carte.

La SATIM prévoyait le lancement du paiement en ligne courant 2011. On est pratiquement à la fin de l’année, où en est-on ?


La partie technique est prête avec des essais concluants réalisés lors de l’opération pilote lancée avec Air Algérie. Maintenant on cible les cas de litige qui peuvent apparaitre lors du lancement officiel du e-paiement. On travaille spécifiquement sur les conventions de place ; c'est-à-dire les accords entre les différents acteurs (SATIM-banques-commerçants) pour que toutes les parties soient protégées notamment le consommateur pour aller ensuite éventuellement vers l’amendement des différentes lois (code de commerce, code pénal et code civil) pour accompagner l’introduction d’aspects non abordés par l’ancienne législation.

Qui détient la décision de lancer le e-paiement ?


La décision se fait à deux niveaux : la Banque d’Algérie, parce que c’est à elle qu’il revient de valider une opération financière, et le ministère des Finances, qui se charge, si besoin est, de préparer l’amendement des lois précitées. Mais c’est à nous banques et SATIM de faire un travail de préparation et de réflexion pour le soumettre au centre de décision. Et ce travail est en cours. Mais cela ne doit pas nous empêcher de démarrer dans un premier temps avec les conventions de place en attendant les éventuels amendements des lois. Ces conventions vont être soumises prochainement à la Banque centrale qui va donner son accord pour peu qu’elle s’aperçoit que toutes les parties sont protégées.

Mais on a annoncé pour début 2011 la possibilité de payer le billet Air Algérie sur Internet ?

C’est le pilote qui été testé avec succès. Le service n’est pas encore ouvert à la clientèle justement pour des problèmes liés à la réglementation.

Les sites web proposant le service e-commerce en Algérie ne sont que de simples vitrines où sont proposés des articles commerce. L’absence du paiement en ligne semble entraver une dynamique qui s’amorce sur le Net.
Le retard dans le lancement officiel du e-commerce est justifié par l’absence d’un cadre réglementaire spécifique qui viendrait finaliser le projet. Il y a un vide juridique : on peut assimiler le paiement sur le net au paiement classique mais, simplement il y a des cas de fraudes qui n’existent pas sur le physique qu’on devra définir.

On annonce la migration vers la troisième génération de la téléphonie mobile. Y a-t-il un projet pour faire du téléphone portable un outil de développement de la monétique en Algérie ?

Il faut une clarification sur le cadre réglementaire encore une fois. Ce n’est pas le moyen en lui-même parce que le portable peut représenter un canal comme tout les autres pour l’émission de transactions. Il faut déterminer le rôle de l’opérateur GSM qui n’est pas une banque, et l’opération doit rester financière initiée par la banque. Je dois vous avouer que la partie technique n’est pas difficile, mais malheureusement rien n’a été fait dans ce sens. Cette idée n’a même pas atteint le stade de réflexion.

Plusieurs banques algériennes ont lancé des plateformes e-banking mais aucune ne peut fonctionner à 100%...
Si la plate-forme ne fonctionne pas à 100 %, c’est parce que les banques n’ont pas ouvert à leurs clients toutes les possibilités, c’est-à-dire le client peut faire la consultation mais pas ordonner des virements. Je crois que c’est pour des raisons de sécurité qu’elles ont limité les services. Et ce n’est pas nous qui gérons ces plates-formes.

Mais si on avait lancé le e-paiement cela aurait il été différent ?

Ça ne répond pas tout à fait à la même logique, le e-paiement nécessite une carte de paiement avec toutes les données qu’elle contient en plus de la présence du porteur. Sur la plate-forme du e-banking vous aurez un identifiant plus un code pour lancer une opération de consultation ou de virement via le canal Internet. Les plateformes d’e-banking sont plus perméables que le e-paiement, mais il y a des moyens pour sécuriser les opérations de virements.

Qu'en est-il de la signature électronique ?


La signature digitale qui est le remplacement de la signature manuelle par un code chiffré existe depuis le lancement de la carte de paiement. Tandis que la certification électronique, celle-ci est un projet de l’ARPT. La SATIM est un utilisateur comme toutes les banques. Dans la transaction financière on a besoin d’un certificat d’authentification pour transmettre via un canal (souvent Internet), une information chiffrée. Nous ne sommes pas partie prenante dans ce projet.

Les voisins Marocains et Tunisiens ont bien avancé dans le domaine de la monétique. Pourquoi selon vous ?

Nous avons démarré en retard. Et on n’avait pas les mêmes priorités. Ce qui a poussé les pays voisins à aller vite dans ce domaine c’est le tourisme. Il fallait bien accompagner les touristes occidentaux habitués au paiement électroniques dans leurs pays. Et au fur et à mesure nos voisins ont pu combler les lacunes.

Source : Maghreb Émergent au 14/12/2011

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