lundi 18 juillet 2011

Virée à Derb Ghallef (Casablanca) Au royaume des hackers marocains

Situé dans un quartier populaire de Casablanca, le marché “Joutia” de Derb Ghallef est célèbre dans tout le Maroc. On y vient, pour ainsi dire, des quatre coins du pays. Et même parfois de plus loin…

La visite de ce “royaume du piratage” s’impose même aux touristes qui viennent faire ici leurs emplettes ou encore pour découvrir les dernières nouveautés high tech. La réputation de Derb Ghallef (et qui a fait, du reste, le tour du monde) c’est assurément le cracking, le “déplombage” des logiciels. Aucune protection au monde ne saurait y résister. On est ici dans le fief des hackers marocains qui seraient, selon les spécialistes, les plus forts au monde après leurs homologues brésiliens. “Les jeunes ont acquis tellement de connaissances qu’ils sont capables d’analyser très vite le code d’un programme transmis à n’importe quel processeur”, tente de nous expliquer, dans un jargon qu’on a du mal à comprendre, Amine, un informaticien de 22 ans qui nous a aidés pour cette enquête. “Les hackers cherchent ensuite la faille jusqu’à neutraliser ou à contourner les mesures de protection du logiciel en créant soit un “patch” soit un “keygen” dans le cas des logiciels protégés par des mots de passe. Il suffit parfois de quelques heures seulement pour trouver les codes de TPS qui, faut-il le rappeler, ne cesse de s’équiper en systèmes de protection ultra sophistiqués et fort complexes. Les programmes de Canal+ et Art sont, eux aussi, régulièrement décryptés”. Pirater Msn, Facebook ou Gamezer est par ici un jeu d’enfant. Ou plutôt d’adolescent. “Récemment, un jeune Marocain, prodige en informatique a “cracké” le système de sécurité de Facebook”, nous apprend Amine qui nous met sur la piste de Réda Chekraoui, un jeune prodige marocain qui a pu accéder aux informations intégrales (profil, statut, photos, messagerie privée) de plus de 80 000 personnes affiliées au célèbre réseau social. Un exploit retentissant au Maroc au point où la presse locale ne tarit plus d’éloges sur “l’ingéniosité des hackers marocains”. Le hacking est désormais bien vu. C’est d’ailleurs à visage découvert que le jeune Casaoui se présente dans les colonnes des journaux ou sur les ondes de la radio marocaine comme un pirate informatique “clean”. C'est-à-dire un “white Hacker” dont la seule motivation est de repousser sans cesse les limites du possible en matière de sécurité informatique et d’en informer aussitôt les concepteurs des sites piratés. Réda a déjà décelé, à ce jour, des failles de sécurité sur des sites prestigieux comme Daily motion, EBay, Hotmail, Hi5, Gmail ou encore Yahoo : “Il a découvert qu’en faisant un simple copier/coller des cookies, il peut usurper des adresses dans Hotmail et Gmail et les utiliser à la place de leurs propriétaires. Des défauts qu’il s’empressera de signaler aux administrateurs des sites piratés en question.” Promis à un bel avenir dans le domaine de la sécurité informatique, Réda est actuellement sollicité de partout. Depuis que l’information de son intrusion sur Facebook a été rendue publique, Réda Chekraoui croule sous les propositions des centres de recherches, des éditeurs de logiciels et des constructeurs. L’aventure a commencé, pour lui aussi, sur l’ancien terrain vague de Derb Ghallef. Véritable plaque tournante de l’électronique mondiale, on y trouve du matériel qui n’est pas encore sorti en Europe ou aux USA. “Si vous êtes à la recherche d’un baladeur MP3, un lap-top, un logiciel, un jeu vidéo, un téléphone portable ou une console “dernier cri”, c’est là que vous dénicherez votre bonheur”, nous-a-t-on prévenus. Plus qu’une curiosité touristique, Derb Ghallef est un endroit où l’on peut faire de très bonnes affaires. Sur certains produits électroniques, on peut réaliser des marges de plus de 50% par rapport aux prix pratiqués par les revendeurs agréés. Comme on peut aisément le deviner, les réseaux d’approvisionnement de Derb Ghallef prennent, parfois, des voies impénétrables. La marchandise proviendrait essentiellement de Corée du Sud, du Japon et de Ceuta et Mélilia (enclaves espagnoles au nord du Maroc). Mais aussi d’ailleurs. Les descentes des douaniers et des agents du fisc sont assez fréquentes. Les commerçants (qui se sont tous acquittés d’une patente) continuent à jouer au chat et à la souris avec le makhzen. Ils engagent parfois un bras de fer avec les autorités qui, eux, tolèrent tant bien que mal ce marché “informel” auquel ils reconnaissent une certaine utilité socio- économique, voire même politique. En tout cas, tout le monde trouve ici son compte. Surtout les bourses modestes. Et puis, la plupart des Marocains tirent du marché casablancais une fierté nationale. On n’hésite jamais à vous égrener à ce sujet quelques faits insolites. La légende rapporte, ainsi, qu’un jour, on y aurait vendu à Derb Ghallef un train d'atterrissage pour Boeing, et que des savants japonais en sont ressortis complètement fous…

De hacker à hactiviste, il n’y a qu’un clic

Il est vrai qu’il y a de quoi avoir le tournis. Surtout pour les cinéphiles qui peuvent trouver, à Derb Ghallef, contre une bouchée de pain, des films piratés qui figurent encore au Box office. Pour 5 dirhams (60 dinars) seulement, vous pouvez avoir droit à la dernière version de Windows. Sur le plan éthique, les clients ne s’embarrassent pas de scrupules. D’autres se posent quand même un peu la question : “Pour moi, cela n’est pas du vol ou une quelconque atteinte à la propriété intellectuelle. Je respecte les droits d’auteur. Mais jusqu’à un certain point. Lorsqu’une invention permet à un seul homme de devenir l’homme le plus riche du monde, alors là les plus démunis sont, de mon point de vue, en droit de se l’approprier”, justifie, pour sa part, Najet, une militante altermondialiste. D’après elle, c’est la mondialisation qui a favorisé la contrefaçon qui, aujourd’hui, touche tous les domaines de la production industrielle. “C’est un juste retour des choses. Comme le transfert de technologie s’est longuement fait attendre du côté des pays industrialisés, les pays du “tiers monde” ne se sont pas gênés pour se l’octroyer. D’une manière, certes, illégale peut-être, mais néanmoins tout à fait légitime !” Une revanche à méditer gravement. En seulement dix ans, le chiffre d’affaires mondial de la contrefaçon s’est multiplié par 100. S’agissant du piratage informatique au Maroc, Najet s’en montre plutôt fière. Elle se rappelle, un brin nostalgique, de “la première cyber-attaque d’envergure qu’a eu à essuyer l’État hébreu de la part d’un pays arabe”. En effet, l’action la plus spectaculaire des hackers marocains est sans conteste le piratage, par des jeunes âgés alors tous de moins de 20 ans, de près de 800 sites informatiques israéliens. C’était le 28 juin 2006. Une action de sabordage menée en réponse à une offensive de l’État hébreu dans la bande de Gaza. Le mot d’ordre était que “Tant que vous tuerez des Palestiniens, nous tuerons vos serveurs”. Ces hackers sont ceux qu’on appelle les “hacktivistes” dont les objectifs sont d’abord purement politiques. Tout le monde s’accorde à dire que ce sont les plus doués, sinon les plus dangereux. Toujours prêts à l’abordage, ces pirates des temps modernes n’arrêtent pas de s’attaquer aux systèmes informatiques les plus avancés au monde (USA, Israël, Philippines,…) Plus qu’un jeu, c’est pour eux un défi. Comme jadis, du temps de Mourad Raïs, ils partent aujourd’hui virtuellement à la course du “décodage” en navigant parfois très loin sur la Toile. Ils se frottent tous les jours aux systèmes de protection les plus sophistiqués au monde. “Ils changent les données en détournant des serveurs, en remplaçant des pages d’accueil afin de déformer la signification des sites. Ils arrivent même à faire du “jumping”, une technique qui consiste à utiliser un site dont la sécurité est faible pour en attaquer un autre”, nous explique Amine l’informaticien. Le revers de la médaille est que cette hyperactivité des hackers marocains fait craindre à présent le pire. Et pas seulement aux Israéliens. On se souvient que lors de l’épisode des affrontements de Laâyoune, le ministère algérien de l’Intérieur et des Collectivités locales et l’Office national du tourisme (ONT), avaient été attaqués par des hackers marocains. Le site internet de notre ministère de “souveraineté” avait été piraté durant une quinzaine de minutes. Sur le site de l’ONT, une carte “élargie” du Maroc (englobant même la région de Tindouf) a été mise en ligne. Ce n’est pas la première fois que les hackers marocains s’en prennent à des sites officiels algériens. On se souvient également des pages web de la Radio nationale et de la Banque d’Algérie qui avaient été remplacées par divers contenus durant plusieurs jours. Le site d’information Tout sur l’Algérie (TSA) en fait régulièrement les frais. Pour s’en consoler, faudrait-il peut-être écouter certains spécialistes qui prédisent qu’à force de jouer avec le feu, les hackers marocains vont entraîner leur pays vers une guerre informatique (cyber war) que le royaume chérifien n’a pas les moyens de remporter tant ses sites nationaux sont, pour l’heure, eux aussi, encore vulnérables. Ces prouesses font courir au pays des risques informatiques certains. “En ce moment même, c’est l’opérateur Maroc Telecom qui fait face à l’envoi de chevaux de Troie. Il s’agit soit d’un hacker abonné mécontent du service, soit d’une vengeance aveugle contre un site marocain”, apprend-on chez un revendeur multimédia. Si les faits d’armes, ou plutôt les méfaits des pirates marocains, ne se comptent plus, ils ne peuvent rester longtemps sans conséquences sur la sécurité et l'image même du royaume. On se demande même comment ce pays pourrait tirer profit de cet “avantage” somme toute assez relatif. Au Département d’État américain, le Maroc figure déjà sur la liste des pays qui abritent le plus grand nombre de hackers anti-US. Les ultras cons et les faucons du Pentagone n’hésitent même plus à évoquer un “jihad numérique” au royaume chérifien. Paradoxalement, contrairement à l’Algérie, le Maroc (qui défraye régulièrement la chronique dans le domaine du piratage informatique) reste l’un des rares pays membres d’Interpol qui ne s’est pas encore véritablement doté d’une législation de lutte contre la cyber-criminalité. Il y a bien eu l’arrestation mouvementée en 2005 de Farid Essebar, alias Diab10, qui est devenu à dix-huit ans l’un des hackers les plus célèbres au monde. La presse internationale en avait fait les choux gras. Il faut dire que ce petit génie a à son tableau de chasse des trophées qui ont pour noms ABC, CNN, Caterpillar, Daimler Chrysler… Il avait donné du fil à retordre aux détectives du FBI, aux experts de Microsoft, aux limiers des polices marocaines et turques. Quelques mois après cette arrestation surmédiatisée, surpris par “l’intifada sur le Net”, Israël a dû riposter en piratant le serveur de 400 sites institutionnels marocains. On raconte à Casablanca que des agents du Mossad s’étaient même rendus, à la suite du cyber-assaut marocain, au marché de Derb Ghallef afin de découvrir l’identité des hackers. Certains chuchotent que c’était pour les recruter…

Source : Journal Liberté du 18/07/2011

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