lundi 13 juin 2011

L’expert Omar Berkouk : "La coopération de Djezzy avec Shearman & Sterling dépend de l’intitulé de l’opération"

L’estimation de Djezzy devait être faite à la fin mai. Des sources algériennes anonymes citées par Reuters affirment que cela est du à des difficultés rencontrées par le cabinet d’avocats Sherman & Sterling d’accéder aux données d’OTA-Djezzy. Le cabinet, lui, parle de clause de confidentialité en cours de négociations avec Djezzy. Omar Berkouk, expert financier, nous apporte son éclairage.

Quelle est la démarche ordinaire ailleurs dans le monde en matière d’échange de données d’entreprise en cas de rachat ou de cession ?

S’il existe bien une démarche usuelle en matière de rachat ou de prise de contrôle « amicale » ou « hostile » d’une entreprise par une autre entité (État ou Corporation), la démarche du Gouvernement Algérien n’a rien d’ordinaire ! Généralement le lieu où s’exerce l’action de « prise de contrôle » ou de « rachat » détermine le mode de relation entre le candidat au rachat et la « cible ». Dans le cas d’une société dont les actions sont librement cotées sur une Bourse normalement régulée», tout actionnaire peut obtenir l’information nécessaire pour fonder son opinion sur la valeur de la société. Dans ce cas, la prise de contrôle de la société cible peut se faire de manière « hostile », sans aucune facilitation de sa part au processus engagé par « l’assaillant ». Souvent, elle fait tout ce qui est possible pour rendre la tache plus difficile. Cela permet, en cas de ralliement ultérieur à « l’assaillant » de faire monter le prix de la cession. Un rachat « hostile » entre deux entités non étatiques ne peut se concevoir que sur le marché puisqu’il ne faut attendre aucune coopération de la part de la « cible ». Le cas d’une prise de contrôle, d’un rachat total ou d’une fusion amicale, outre l’information disponible sur le marché, les eux acteurs partageront leurs plans de développement stratégiques pour dégager des synergies sources de valorisation de la nouvelle entité née du rapprochement. Si la cible est « privée », c'est-à-dire ces actions ne sont pas cotées en Bourse aucune opération « hostile » n’est possible de la part d’une autre entité privée. Une action publique est possible mais elle relèverait d’une Loi de Nationalisation ! Dans le cas d’OTA-Djezzy, l’ambiguïté réside dans la qualification de l’opération entreprise par l’Etat : est-ce une nationalisation, une prise de participation minoritaire ou majoritaire ? Est-elle consensuelle ou bien hostile ? On le comprend, la « bonne » coopération de la part des dirigeants d’OTA dans ce cas d’offre non sollicitée dépend de la qualification de l’opération engagée par l’État.

Shearman et Sterling évoque des négociations avec Djezzy sur la clause de confidentialité. Cela prend-il du temps et retarde-t-il l’évaluation ?

L’engagement de confidentialité est une formalité dont on s’acquitte au tout début du processus de fusion et/ou d’acquisition lorsque les parties ont finalement consenti à l’éventualité de l opération (lettre de Naguib Sawiris à Monsieur le Premier Ministre). Les cabinets d’avocats spécialisés le savent : il n’y a pas d’échange d’informations sans la signature préalable d’une NDA (Non disclosure agreement). On peut s’interroger, à ce stade de l’étude, sur l’émergence de difficultés concernant la mise en place de la clause de confidentialité. On ne peut croire que le cabinet SHEARMAN & STERLING ne soit pas professionnel ! Le processus de négociation de la clause de confidentialité ne retarde pas l’évaluation. Elle est déjà quasi-faite mais il retarde le processus d’entrée en négociation pour la transaction !

Des experts affirment que l’essentiel de l’évaluation de Djezzy peut se faire sur la base des données comptables disponibles chez l’administration fiscale. Est-ce le cas ?

Effectivement, l’administration fiscale dispose de la base taxable de la Société, soit sa capacité bénéficiaire sur au moins les 3 dernières années. Mais dans un processus d’évaluation, les perspectives bénéficiaires futures sont aussi importantes voire plus importantes que celles passées. La stratégie de développement, les investissements en cours et à venir rentrent dans le processus d’évaluation. En général, le marché paie plus pour une société qui se développe encore que pour celle arrivée à maturité ! C’est peut-être dans l’évaluation du futur de Djezzy que la Clause de Confidentialité vient interférer ! Si l’on sait avec plus ou moins de précision ce que Djezzy a fait comme profit dans le passé, il peut paraitre difficile de déterminer ce que sera sa capacité bénéficiaire dans le futur. Cette dernière dépend de la stratégie menée actuellement par OTA. Cette stratégie est hautement confidentielle (vis-à-vis de MOBILIS et de NEDJMA…).

Le retard dans l’évaluation de Djezzy soulève des questions. Les autorités algériennes seraient-elles moins pressées de connaitre le montant de la transaction ? Seraient-elles moins certaines de l’option nationalisation encore soutenue par Ahmed Ouyahia récemment ?

La question se pose en termes de stratégie Industrielle et de balance des paiements. L’incidence du rapatriement de l’important dividende de Djezzy – c’est un IDE qui a réussi! -sur la balance des paiements du pays peut être une justification suffisante mais sans aucun écho en matière de stratégie industrielle. Le pourquoi de son rachat est toujours sans réponse directe de la part des autorités algériennes. Les contextes géopolitique et économique (Vimplecom), ayant évolué, une opération en « force » ne peut pas s’envisager. Il est encore temps de chercher des solutions économiques dans l’intérêt du pays qui passent nécessairement par la préservation de l’intégrité de Djezzy qui est déjà un actif algérien !

Source : Maghreb Emergent au 13/06/2011

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