mercredi 18 juin 2008

L'appel des vingt contre le portable


Dix-neuf scientifiques, réunis par David Servan-Schreiber (*), éminent spécialiste de la lutte contre le cancer, lancent un appel afin de sensibiliser l'opinion publique sur les risques que pourrait faire courir l'utilisation du téléphone portable sur le cerveau. Notamment sur les sujets les plus jeunes. Le JDD se fait l'écho de cet appel et analyse un phénomène qui inquiète.

Pourquoi cet appel?
Ces dix-neuf scientifiques, pour la plupart cancérologues, rassemblés par David Servan-Schreiber, auteur d'Anticancer (Robert Laffont), pensent que le risque est trop fort pour être couru. "Nous sommes aujourd'hui dans la même situation qu'il y a cinquante ans pour l'amiante et le tabac, note Thierry Bouillet, cancérologue à l'hôpital Avicenne de Bobigny, signataire de l'appel. Soit on ne fait rien, et on accepte un risque, soit on admet qu'il y a un faisceau d'arguments scientifiques inquiétants." Les signataires de l'appel parmi lesquels on compte le professeur Henri Pujol, président de la Ligue nationale contre le cancer, tiennent à insister sur les risques chez les jeunes, plus sensibles à la pénétration des ondes.

Dans leur liste de dix précautions à prendre, "basiques" selon eux mais tout de même radicales, ils vont jusqu'à demander aux parents d'enfants de moins de 12 ans d'interdire tout accès aux portables à leur progéniture, sauf en cas d'urgence. Le noyau dur des cancérologues rassemblés pour cet appel connaît le psychiatre David Servan-Schreiber depuis la sortie d'Anticancer (*). "Il nous avait réunis pour nous présenter son travail, poursuit Thierry Bouillet. Pour ne pas qu'on le détruise dans la presse sans savoir ce qu'il en était. On partait tous avec un mauvais préjugé, c'est quelqu'un de très controversé. Mais nous avons été conquis." Dès aujourd'hui, on peut retrouver sur www.guerir.fr, le site de David Servan-Schreiber, un comparatif du niveau des ondes électromagnétiques émises par les différents modèles de portables.

Quels sont les dangers?
Les scientifiques s'accordent sur deux choses: il n'y a pas de preuve formelle de la nocivité du portable, mais un risque existe qu'il favorise l'apparition de cancers en cas d'exposition à long terme. On constate en revanche des divergences profondes entre chercheurs sur le niveau de ce risque, qualifié de "faible" par le ministère de la Santé. Une étude suédoise montre que le risque d'avoir une tumeur cancéreuse du côté où l'on téléphone est multiplié par deux au bout de dix ans. Le rapport américain BioInitiave ajoute qu'il y a également un risque significatif d'augmentation des leucémies infantiles et des troubles neurologiques (dont l'Alzheimer). Des résultats contestés par les partisans du risque faible, qui les estiment pas assez rigoureuses.

Les chercheurs comptent sur Interphone, la première étude épidémiologique de grande ampleur menée dans 13 pays. Son volet français a déjà conclu qu'il y a "une tendance générale à un risque accru de gliomes (tumeurs cancéreuses) chez les gros utilisateurs", mais précise que les ces résultats ne sont "pas statistiquement significatifs". Les résultats définitifs, attendus cette année, devraient permettre d'y voir plus clair.

Les lobbies influencent-ils les chercheurs?
"L'influence des industriels est très forte, comme on l'a déjà constaté pour l'amiante", estime Etienne Cendrier, porte-parole de l'association Robins des toits. Il cite dans son livre (**) le compte-rendu d'une réunion de 1994 de la Fédération des industries électriques, électroniques et de communication, dont l'objectif était d'organiser un lobbying européen pour s'opposer aux "rumeurs dommageables sur le plan commercial".

En France, le travail de l'Afsset, l'agence publique qui a réalisé les deux derniers rapports officiels sur le sujet, a été désavoué par ses ministères de tutelle. Quatre des dix experts du rapport de 2005 avaient des liens directs ou indirects avec des opérateurs, tandis que des experts du rapport de 2003 avaient plaidé pour le faible danger du mobile dans un supplément publicitaire d'Impact Medecine financé par France Télécom. "Le fonds de nos rapport n'a pas été remis en cause", réplique-t-on à l'Afsset.

Les militants associatifs recensent plusieurs cas de chercheurs écartés ou privés de crédits. Ainsi Gérard Ledoigt, chercheur en biologie à l'université de Clermont-Ferrand, découvre en 2006 que les gênes des plants de tomates interprètent les ondes du mobile comme une agression. Un an plus tard, il apprend que son labo est démantelé, avant d'être désavoué par son université pour des propos qu'il n'a pas tenus. "J'ignore pourquoi, mais on m'a de facto empêché de travailler sur le sujet", indique-t-il. L'université rétorque que ses recherches se poursuivent dans un autre labo, avec un financement de la fondation Santé et radiofréquences, dont Gérard Ledoigt fait partie.

Cette structure créée en 2006 irrigue l'essentiel de la recherche française sur le sujet. Elle est dans le collimateur des associations car elle est financée à parité par l'Etat et les industriels. "Nous ne sommes pas représentés à son conseil scientifique, qui travaille en toute indépendance", indique-t-on à l'Association française des opérateurs mobiles (Afom). "C'est vrai, mais je suis un des rares membres du conseil qui pense que le téléphone portable peut avoir un effet sur les cellules", ajoute Gérard Ledoigt.

La prudence des assureurs
Dans un rapport de 2006, la société de bourse CA Cheuvreux estimait que les opérateurs devaient mieux informer leurs clients des risques potentiels afin de minimiser l'impact financier lié à d'éventuels procès. Les assureurs se montrent également très prudents. A l'image d'Axa, la plupart d'entre-eux ont exclu de leurs contrats destinés aux particuliers et aux entreprises les risques potentiels liés aux ondes électromagnétiques. Les assureurs redoutent ce "risque non maîtrisé et qui pourrait dériver en futurs sinistres sériels", confirme le réassureur Paris Re.

Le réassureur allemand Munich Re refuse pour sa part de couvrir les risques liés à l'électromagnétisme pour les fabricants de portables et d'antennes relais. Les opérateurs français semblent toutefois avoir trouvé des assureurs prêts à les couvrir. "Les opérateurs ont une assurance responsabilité civile qui inclut les risques éventuels liés aux champs électromagnétiques", indique-t-on à l'Afom.


Les 10 précautions à prendre dans l’utilisation d’un téléphone portable ou GSM

L’appel des 20 experts internationaux concernant l’utilisation des téléphones portables (ou GSM) délivre 10 précautions à prendre :

“Compte tenu de l’absence de preuve absolue chez l’être humain d’un effet cancérogène des ondes électromagnétiques émises par les téléphones portables nous ne pouvons pas parler de la nécessité de mesures de prévention (comme pour le tabac ou l’amiante). Dans l’attente de données définitives portant sur des périodes d’observations prolongées, les résultats existants imposent que l’on fasse part aux utilisateurs des mesures les plus importantes de précaution comme l’ont aussi suggéré plusieurs rapports nationaux et internationaux. (…)

1. N’autorisez pas les enfants de moins de 12 ans à utiliser un téléphone portable sauf en cas d’urgence. En effet, les organes en développement (du foetus ou de l’enfant) sont les plus sensibles à l’influence possible de l’exposition aux champs électromagnétiques.

2. Lors de vos communications, essayez autant que possible de maintenir le téléphone à plus d’1 m du corps (l’amplitude du champ baisse de quatre fois à 10 cm, et elle est cinquante fois inférieure à 1 m de distance. Dès que possible, utilisez le mode “haut-parleur”, ou un kit mains libres équipé d’un tube à air dans ses derniers 20 cm qui semble moins conduire les ondes électromagnétiques qu’un kit mains libres filaire traditionnel ou une oreillette bluetooth (moins d’1/100e de l’émission électromagnétique du téléphone en moyenne).

3. Restez à plus d’un mètre de distance d’une personne en communication, et évitez d’utiliser votre téléphone portable dans des lieux publics comme le métro, le train ou le bus où vous exposez passivement vos voisins proches au champ électromagnétique de votre appareil.

4. Evitez le plus possible de porter un téléphone mobile sur vous, même en veille. Ne pas le laisser à proximité de votre corps la nuit (sous l’oreiller ou sur la table de nuit) et particulièrement dans le cas des femmes enceintes – ou alors le mettre en mode “avion” ou “hors ligne/off line” qui a l’effet de couper les émissions électromagnétiques.

5. Si vous devez le porter sur vous, assurez vous que la face “clavier” soit dirigée vers votre corps et la face “antenne” (puissance maximale du champ) vers l’extérieur.

6. N’utilisez votre téléphone portable que pour établir le contact ou pour des conversations de quelques minutes seulement (les effets biologiques sont directement liés à la durée d’exposition). Il est préférable de rappeler ensuite d’un téléphone fixe filaire (et non d’un téléphone sans fil -DECT- qui utilise une technologie à micro-ondes apparentée à celle des portables).

7. Quand vous utilisez votre téléphone portable, changez de côté régulièrement, et avant de mettre le téléphone portable contre l’oreille, attendez que votre correspondant ait décroché (baisse de la puissance du champ électromagnétique émis).

8. Evitez d’utiliser le portable lorsque la force du signal est faible ou lors de déplacements rapides comme en voiture ou en train (augmentation maximale et automatique de la puissance lors des tentatives de raccordement à une nouvelle antenne relais ou à une antenne distante)

9. Communiquez par SMS plutôt que par téléphone (limite la durée d’exposition et la proximité du corps).

10. Choisissez un appareil avec le DAS le plus bas possible par rapport à vos besoins (le “Débit d’Absorption Spécifique” mesure la puissance absorbée par le corps).”




(*) Voici la liste des vingt signataires de l'appel
Dr Bernard Asselain, chef du service de biostatistiques du cancer, Institut Curie
Pr Franco Berrino, directeur du département de médecine préventive et prédictive de l'Institut national du cancer, Milan, Italie
Dr Thierry Bouillet, cancérologue, directeur de l'Institut de radiothérapie, hôpital Avicenne, Bobigny
Pr Christian Chenal, professeur émérite de cancérologie et ancien responsable de recherche CNRS "Radiations, Environnement, Adaptation"
Pr Jan Willem Coebergh, cancérologue, département de santé publique, université de Rotterdam, Pays-Bas
Dr Yvan Coscas, cancérologue, chef du service de radiothérapie, hôpital de Poissy-Saint-Germain
Pr Jean-Marc Cosset, chef de département honoraire d'oncologie-radiothérapie de l'Institut Curie
Pr Devra Lee Davis, chef du département de cancérologie environnementale, université de Pittsburgh, Etats-Unis
Dr Michel Hery, cancérologue, chef du département de radiothérapie, hôpital Princesse-Grace, Monaco
Pr Lucien Israël, professeur émérite de cancérologie, université Paris-XIII, membre de l'Institut
Jacques Marilleau, ingénieur, ancien physicien au Commissariat à l'énergie atomique et au CNRS Orsay
Dr Jean-Loup Mouysset, cancérologue, président de l'association Ressource
Dr Philippe Presles, président de l'Institut Moncey de prévention santé, Paris
Pr Henri Pujol, cancérologue, ancien président de la Ligue nationale contre le cancer
Joël de Rosnay, docteur ès sciences
Dr Annie Sasco, directrice de l'équipe d'épidémiologie pour la prévention du cancer-Inserm, université Bordeaux-II
Dr Simone Saez, ancien chef de service du Centre de lutte contre le cancer Léon-Bérard, Lyon
Dr David Servan-Schreiber, professeur clinique de psychiatrie, université de Pittsburgh
Dr Pierre Souvet, cardiologue, président de l'association Santé Environnement Provence
Dr Jacques Vilcoq, cancérologue, clinique Hartmann, Neuilly-sur-Seine

(**) Et si la téléphonie mobile devenait un scandale sanitaire?, Editions du Rocher


Source : Le Journal du Dimanche du 15/06/2008

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