mardi 17 janvier 2012

Moussa Benhamadi, ministre des PTIC : "La nouvelle loi va soulager Algérie Télécom dans la couverture du pays en service TIC"

La prochaine loi sur la poste et télécommunications ouvrira la porte au e-paiement et au paiement mobile, mais également elle permettra à des investisseurs privés d’entrer dans des offres Internet dans des zones non couvertes, et notamment des services de réseau mobile virtuel (MVNO). Le dégroupage tant attendu de la boucle locale d’Algérie Télécom est également prévu par le nouveau texte. Le ministre de la Poste et des Technologies de l'information, Moussa Benhamadi, ministre des Postes et des Technologies de l’information et des communications (PTIC) se livre dans cet entretien exclusif.


Maghreb Emergent : La décision de lancer la 3G avant la fin du premier semestre 2012 est-elle définitive cette fois ?



Moussa Benhamadi :
Il faut qu’elle soit définitive. Le processus lancé en septembre 2011 a été différé pour des raisons liées à la préparation des trois opérateurs. Déjà que nous sommes parmi les rares pays à ne pas avoir introduit la 3G. Je n’ai pas à revenir sur les raisons qui ont mené à ce retard. En tout cas, ce n’est pas une question de moyens, d’autant plus que ce sont les opérateurs qui investissent. Ni une question d’infrastructures de télécommunications, puisque nous avons l’un des meilleurs réseaux de fibre optique comparé à des pays équivalents. Nous avons aussi trois opérateurs très actifs, qui ont démontré leurs compétences.

Donc ce n’est pas une question de maitrise technologique, encore moins une faiblesse de la demande pour la 3G. Nos évaluations montrent que le marché du haut débit est fortement demandeur et que l’offre actuelle d’Algérie Telecom est loin de le saturer.


Le report était-il dû à l’impréparation de Mobilis ?


Contrairement à ce qui a été avancé, l’encadrement et le Conseil d’administration ont tout fait pour que Mobilis soit au rendez-vous. L’opérateur est capable de lancer dès demain un service 3G. Bien sûr pas à l’échelle nationale dans un premier temps, mais au moins dans certaines wilayas comme Alger, Oran, Constantine. Mobilis a les moyens d’investir sans recourir à un crédit bancaire. L’opérateur va encore réaliser un résultat positif pour 2011.

Ce n’est pas Mobilis qui a demandé le report de l’opération. En plus, nous ne voulons pas que l’opérateur bénéficie d’un régime de faveur qui est forcément démobilisateur. Il dispose des compétences et l’engagement qu’il faut pour être compétitif.


Les dirigeants de Mobilis ont-t-ils aussi la liberté qu’il faut comme l’ont leurs concurrents directs ?


Le management de Mobilis n’a pas la liberté qu’il faut. Mais depuis le dernier amendement du code des marchés publics, les entreprises publiques ont plus de liberté d’action. Et ça ne tient qu’à leurs dirigeants d’adopter le règlement intérieur qu’il faut pour la passation de marché.

Ils ne sont plus obligés de passer par l’appel d’offres pour l’achat d’équipements, par exemple ?

C’est aux entreprises publiques en général d’arrêter le règlement intérieur. Et quand il y a une difficulté, c’est au Conseil d’administration de trancher. Personnellement, je suis pour qu’on responsabilise les organes sociaux (conseil d’administration, comité d’audit) qui vont à leur tour responsabiliser le management. Qu’on leur donne la liberté d’action, et c’est ce qui permettra à entreprise publique d’être compétitive.


Le dégroupage de la boucle locale d’Algérie Télécom est-il dans votre agenda ?


Le dégroupage n’avait pas été prévu dans la loi 2000-03 du 5 août 2000 fixant les règles générales relatives à la poste et aux télécommunications. Mais nous prévoyons une autre loi, qui est déjà passée par le Conseil du gouvernement qui l’a approuvée à 99% avec quelques petites remarques qui ont été prises en charge. Le projet de loi attend donc d’être réexaminé au Conseil du gouvernement puis le Conseil des ministres, avant de passer devant l’Assemblée.


Que va apporter de nouveau le texte ?


Commençons par la poste. Il faut que le service universel revienne à Algérie Poste (AP) de manière systématique. Il n’y a aucune institution financière qui peut rivaliser avec AP en terme de service universel.

Le nouveau texte ouvrira la possibilité pour AP, qui a l’avantage d’être présente dans toutes les localités du pays, de créer la banque postale. Dans l’intérêt de ses usagers, Algérie Poste pourra proposer des services bancaires de qualité (épargne, prêts) et des services monétiques.

Dans le domaine des télécoms nous avons prévu le dégroupage qui est essentiel si nous voulons booster la concurrence et donner la possibilité à d’autres acteurs de venir investir sur la boucle locale pour offrir des services à haute valeur ajoutée.

Algérie Télécom (AT) ne peut pas tout prendre en charge. A terme, il faut qu’elle se spécialise dans sa mission d’être l’opérateur des opérateurs. Qu’elle se décharge de la prise en charge des besoins des citoyens à travers des ISP ou d’autres intervenants.

Algérie Télécom doit développer son réseau haut débit, assurer la connexion à ces opérateurs et prendre en charge le secteur professionnel (économique, social…) qui a besoin d’un réseau fiable qui lui permette de développer un réseau intranet.

Nous avons également prévu dans ce nouveau texte un aspect qui n’est pas du tout présent dans la loi 2000-03, à savoir le réseau mobile virtuel (MVNO) qui peut générer des revenus à Algérie Poste. D’autres opérateurs pourront aussi exploiter le MVNO pour offrir des services de téléphonie mobile.


Qu’est ce qui est prévu en matière de e-paiement ?

Il est prévu d’aller vers le commerce électronique et l’ouverture du marché du e-paiement, le m-paiement (payement mobile, ndlr).


Le texte règle-t-il le problème de la signature électronique ?

La signature électronique figure déjà dans un texte de loi du ministère de la Justice. Mais dans cette loi il y a plus le cadrage technique en matière de standards, de normes, les rôles des différents acteurs (ministère, ARPT, Agence nationale des fréquences…) sont clairement définis.

Nous avons également prévu de donner la possibilité aux collectivités locales, dans le cadre des travaux infrastructures qu’elles réalisent, de poser des canalisations appelées à recevoir de la fibre optique et de les louer après, sous le contrôle de l’ARPT. Entendons nous bien, il s’agit uniquement de louer les canalisations pour y installer de la fibre optique, pas de devenir un acteur télécoms.


N’est-il pas prévu aussi de décharger un peu AT du fastidieux plan d’installation de la fibre optique ?


Le secteur de l’énergie, à travers Sonatrach et Sonelgaz, et celui des transports, par le biais de la SNTF, disposent d’un réseau de fibre optique. Il est difficile pour ces entreprises de vendre l’excédent de capacité. Avec la nouvelle loi qui va remplacer la 2000-03, elles pourront louer une partie de leur capacité à des opérateurs disposant d’une licence.


La qualité de service de l’Internet laisse à désirer, et l’ARPT ne fait rien pour imposer le respect du contrat entre l’opérateur (AT) et les clients Adsl. N’a-t-elle pas ce pouvoir de contrôle ?

L’ARPT a un rôle essentiel dans le développement des services de la poste et des télécoms. C’est une entité totalement autonome. Elle ne reçoit d’injonction de personne. Elle a la latitude d’évaluer la prestation d’un opérateur et de le sanctionner. Qu’il soit public ou privé, il n’y a pas de distinction. Personne n’empêche l’ARPT d’évaluer la qualité de service de l’Adsl.


Vous avez fixé l’échéance 2014 pour la généralisation de l’Adsl et du haut débit. Vous nous demandez, en quelque sorte, de patienter encore.

Il y a des délais incompressibles. La généralisation de la fibre optique (en remplacement des câbles en cuivre) et le renouvellement des anciens équipements de télécoms compatibles aux normes Internet prennent du temps. Cette mauvaise qualité de l’Adsl n’est pas due aux équipements Internet d’AT, mais à la vétusté du réseau téléphonique.

Le plan MSAN entamé par AT, qui rentre dans la généralisation de la technologie NGN (Next Generation Network), consiste justement de rapprocher au maximum ces nouveaux équipements de l’utilisateur final pour lui assurer d’avoir réellement le débit qu’il a acheté.


Comment se fait-il que des cités AADL ne disposent pas de réseaux téléphoniques ?


Il aurait fallu impliquer Algérie Télécom au moins dans la fourniture de plan de câblage d’une cité. Même si ce n’est pas elle qui devait installer les câbles, mais elle pouvait dire comment préparer les canalisations, d’où faire aboutir le câble jusqu’à l’immeuble, et même jusqu’à l’usager. Chose qui se faisait par le passé. L’autre problème réside dans le fait qu’AT n’a pas les moyens d’investir partout dans le pays.


Et quelle est la solution ?

Nous demandons aux promoteurs de pré-câbler les cités. Il y a un travail qui se fait actuellement avec tous les ministères (Habitat, Ressources en eau, Travaux publics…) pour qu’Algérie Télécom puisse poser des gaines pour y installer la fibre optique.

Nous avons l’expérience du transfert d’eau Aïn-Salah – Tamanrasset où grâce à la concertation avec le ministère des Ressources en eau, AT a pu mettre en place une liaison en fibre optique selon les normes internationales sur 700 Km. Nous travaillons également avec le ministère des Travaux publics pour mettre en place la fibre optique tout le long de l’autoroute est-ouest et des routes qui sont réalisées.


Est-ce qu’une entreprise privée peut investir dans ce domaine ?


La nouvelle loi permettra la construction des canalisations destinées à accueillir la fibre optique. Un entrepreneur privé qui construit des logements, peut installer des canalisations et les louer à AT pour la pose de la fibre optique.


Où en est la pose de la fibre optique dans le cadre du projet de gazoduc Transsaharien Algérie-Niger-Nigeria ?



C’est dans le cadre du projet Alger-Zinder-Abuja. Pour la partie algérienne, AT a installé la fibre optique jusqu’à la frontière du Niger. Il y a un groupe de travail algéro-nigérien qui se penche sur les modalités de la pose du tronçon de fibre optique Aïn-Guezzam (Algérie) – Arlit (Niger), avant de continuer vers Zinder, puis vers la frontière avec le Nigeria. Il s’agit de trouver un montage financier pour cette partie du projet.


Peut-on encore parler de l’échéance 2013 pour le plan « e-Algérie » ?

C’est trop proche en effet, en plus, une stratégie ne peut pas être limitée dans le temps. Il faut essayer de la corriger. Beaucoup d’actions d’« e-Algérie » ont été réalisées. Nous avons préféré nous limiter pour le moment à des actions structurantes tel que la pose de la fibre optique à l’échelle nationale. C’est à partir de ce maillage que l’on pourra développer d’autres réseaux. Nous avançons dans l’introduction des technologies NGN (Next Generation Network), dans le cadre du projet MSAN d’Algérie Télécom. Nous avons entamé l’introduction du FTTx qui consiste à ramener la fibre optique au plus près de l’utilisateur, même si elle conna&! icirc;t quelques difficultés liées au coût qui est plus cher que la technologie classique.

En dehors du volet équipements, le retard pris dans le « e-gouvernement » est-il d’ordre technologique ou de mentalité de l’administration ?

La plupart des administrations sont connectées à la fibre optique.


Mais elles n’offrent pas de services aux citoyens.


Il faut mettre en confiance l’administration. Il y a un problème de sécurisation des données. Nous avons commencé par la plateforme www.elmouwatin.dz où plusieurs ministères mettent leurs informations au service du citoyen.


Mais le citoyen attend des services. En Tunisie, la télédéclaration des impôts et des cotisations sociales sont possibles.


Ça va venir. Le ministère des Finances à travers sa direction des impôts s’organise pour cela. Parce que c’est aussi une question d’investissement dans l’infrastructure technologique, dans le système de gestion. Il y a un travail d’organisation et de procédures à mettre en place. Après, pour ouvrir ce service au citoyen, il faudra le sécuriser.


La question de sécurité doit aussi se poser aux tunisiens…

En effet, il n’y a pas de mystère ni de difficulté à réaliser cela. C’est ce qui est entrain de se faire. Doucement peut être mais surement. C’est un souci majeur pour tous les responsables d’offrir un service au citoyen pour lui éviter des déplacements.


Si un arbitrage doit se faire entre le technicien que vous êtes et l’administration qui craint les changements, qui doit prendre la décision ?


Il faut convaincre et mettre en confiance. Dire qu’il n’y a aucun souci pour la sécurisation du service mis en ligne. Vous avez un exemple vivant à travers le ministère de la Justice qui permet de commander un casier judiciaire via Internet et le retirer partout en Algérie et même dans nos représentations diplomatiques à l’étranger. Cela fait partie du e-gouvernement. Le réseau a été bien fait, il n’y a eu aucun souci depuis son lancement.
Dans ce réseau du ministère de la Justice il y a d’autres choses qui se font en interne, comme l’audition de prisonniers par visioconférence. Un détenu de Annaba qui est cité dans une affaire à Tlemcen, n’est pas transféré mais entendu à distance. Tous les dossiers d’enrôlement sont pris en charge par ce réseau.
Nous avons également tout ce qui se fait par les ministères de l’Enseignement supérieur et de l’Education pour les inscriptions à l’Université et les résultats du Bac.


L’Internet WiFi grand public tarde à venir.


Le WiFi grand public mais restreint se déploie dans les cités universitaires. La convention signée avec mon confrère de l’Enseignement supérieur prévoit la généralisation du WiFi dans 400 cités universitaires. L’opération avance.
Généraliser le WiFi c’est possible. Dans le cadre de la nouvelle loi, l’ARPT va pouvoir agréer des opérateurs qui vont proposer du WiFi outdoor. Nous avons intérêt à réaliser ce genre d’offres payantes d’Internet sans fil.
Mobilis a déjà expérimenté l’offre WiFi à un abonné qui demande un code d’accès qu’il peut introduire sur son laptop ou smartphone, et de payer avec le crédit de son téléphone mobile.
En dehors des villes, le WiFi outdoor est prévu dans des régions du pays qui ne disposent pas encore de l’Internet, et où des opérateurs pourront proposer ces services.


Quel est le nombre d’internautes en Algérie ?


Nous les avons évalué entre 8 et 10 millions d’internautes. Il y a un million de foyers abonnés directs à l’Adsl, ce qui donne 4 à 5 millions d’internautes. A cela il faut ajouter tous les ministères, les entreprises et autres organismes économiques, le secteur universitaire (étudiants et enseignants), la formation professionnelle, l’éducation nationale qui disposent de connexions Internet. Sans oublier aussi les espaces communautaires équipés d’Internet, dans le cadre des conventions signées par le MPTIC et les ministères de la Solidarité, de la Culture, de la Jeunesse et des sports…


Plus de deux mois après son lancement, où en est Ousratic II ?

Partant des enseignements de la première expérience, Ousratic II sera déployé par segmentation de la population. Dans le cadre de la convention signée avec l’Education nationale, cette offre sera d’abord destinée aux enseignants.
Mais le problème qui se pose toujours c’est le financement. L’opérateur ou l’équipementier ne peut pas financer, car il ne s’agit pas de petites opérations. Et en l’absence de crédit à la consommation, nous avons évoqué la possibilité que les œuvres sociales, avec l’accord des gestionnaires de ces fonds, puissent participer à cette opération dans le cadre d’un prêt (sans intérêt), et non pas d’un financement, en plus d’une participation du ministère par le biais du Fonds d'Appropriation des Usages et du Développement des Technologies de l'Information et de la Communication (FAUDTIC).

L’autre souci, c’est de garantir que l’enseignant va rembourser.


En tant qu’ancien responsable du Cerist, que pensez-vous des 3996 noms de domaines ".dz" enregistrés à ce jour par le Centre ?


C’est négligeable. Je suis en discussion avec le directeur général du Cerist pour trouver un moyen de redynamiser la gestion du ".dz" et d’amener les gens à adhérer à l’ouverture de sites Web sous ce le nom de domaine algérien.
Il y a beaucoup d’opérateurs économiques qui n’identifient pas leurs sites en ".dz". Il y a aussi le cas de la presse.
Le développement des TIC ce n’est pas l’affaire du gouvernement uniquement, ou du MPTIC, c’est l’affaire de tous.
Quand nous avons exonéré de la TVA la création des sites Web et l’abonnement Internet, c’est aussi pour inciter les gens à développer des sites Web en Algérie, par des algériens et de les faire héberger en ".dz ».


Si la presse choisit le ".com" plutôt que le ".dz" c’est essentiellement par crainte de la censure ?


Il n’y a aucun risque de censure sur le ".dz". Premièrement, il faut développer le site Web ici en Algérie et par des algériens, ce qui permet de ne pas payer la TVA.
Pour l’hébergement, il y a deux possibilités. Soit d’héberger le contenu physiquement en Algérie (avec exonération de TVA), soit de payer un opérateur en Algérie qui se chargera d’héberger le site à l’étranger sous le ".dz" également.
Du moment que la version papier d’un journal n’est pas censurée, je ne vois pas pourquoi a-t-on peur de la censure de la version électronique. Si la publication ne tombe pas sous le coup de la loi, personne ne peut la censurer. Il n’y aura aucun blocage de sites.


Le développement du parc Sidi Abdellah n’a pas encore atteint la vitesse de croisière. Pourquoi ?

Malheureusement, nous nous sommes beaucoup plus intéressés à l’infrastructure qu’à la construction d’un contenu. Maintenant nous nous attelons à le dynamiser et à lui donner plus de contenu et, surtout, à partir de Sidi Abdellah de créer d’autres parcs technologiques, comme celui d’Oran qui va s’étaler sur 30 hectares. Des cyber parcs sont également prévus à Annaba, Ouargla, il y a d’autres de petites tailles à Sétif, Constantine, et Sidi Belabbès. L’objectif étant de créer des activités dans les TIC, et surtout d’encourager les jeunes compétences à lancer leurs start-ups. Nous encourageons les algériens, d’ici ou d’ailleurs, à soumettre leurs projets à ! évaluation en vu d’un financement par le FAUDTIC. Ce n’est pas encore le rythme qu’il faut, mais on avance sûrement.

Source : Maghreb Émergent au 17/01/2012

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